Bien sûr, cela suppose de penser sur le long terme, mais les pays du continent auraient tout à gagner à investir dans la recherche sur les aléas climatiques. L’enjeu, économique notamment, est énorme.
Prévoir le temps qu’il fera demain ? À quoi bon, puisqu’il n’est pas encore possible d’enrayer la course des nuages ? Les gouvernements africains commencent pourtant à s’intéresser de près à la science désormais très pointue qu’est la météorologie. La preuve, nombre d’entre eux étaient réunis mi-février à Praia, au Cap-Vert, à l’occasion de la troisième session de la Conférence ministérielle africaine sur la météorologie (Amcomet).
« Nous sommes voués à vivre avec des contingences climatiques aléatoires, a insisté le président cap-verdien Jorge Carlos de Almeida Fonseca. Mieux vaut donc pouvoir compter sur les progrès de cette science avérée. Nos pays ne se prêtent plus au jeu de la navigation à vue. »
En la matière, pourtant, la situation n’est guère reluisante sur le continent.
« Alors qu’elle représente un cinquième de la superficie totale des terres émergées de la planète, l’Afrique dispose du réseau d’observation terrestre du temps et du climat le moins développé parmi tous les continents, un réseau qui se dégrade et qui n’atteint que 1/8 de la densité minimale exigée par l’Organisation météorologique mondiale [OMM] », constate l’Amcomet. Une analyse qui se vérifie au cas par cas.
À titre d’exemple, si la France dispose de plus de 2 000 points de mesure (pluviométrie, températures, vents, etc.) et de nombreux observateurs bénévoles, le Sénégal – qui fait pourtant partie des pays les mieux équipés du continent – ne compte qu’environ 25 stations météo, 150 employés et 350 postes pluviométriques. Quant au service de météorologie du jeune Soudan du Sud, il se résume à une quarantaine d’employés et à un budget inexistant, si l’on en croit son directeur, Mojwok Ogawi Modo – alors même que le pays est régulièrement en proie à de graves inondations…
L’agriculture souffre d’un manque d’anticipation sur les aléas climatiques
« Il nous faut un plaidoyer au plus haut niveau pour expliquer que la météorologie est un service public, insiste Ousmane Ndiaye, chef du département recherche et développement de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie du Sénégal. Il a certes un coût énorme et ne peut être directement rentabilisé, mais il est essentiel pour la protection des services et des biens. » Que l’aviation ou la navigation maritime ait besoin de prévisions météorologiques ne paraît pas surprenant, mais bien d’autres secteurs ont beaucoup à perdre en n’anticipant pas les aléas climatiques.
D’abord et avant tout, l’agriculture, qui ne peut plus se permettre de fonctionner sur des modèles anciens.
« Imaginez le coût, poursuit Ousmane Ndiaye, s’il pleut après que l’engrais a été répandu. Le sol est lessivé, et il ne reste plus qu’à recommencer. De même, si les agriculteurs sèment à la première ondée et que les dix jours suivants sont secs, ils n’ont plus qu’à racheter des semis. »
Les exemples de ce genre peuvent être multipliés à l’infini. En matière d’énergie, l’ensoleillement détermine la possibilité d’installer des panneaux solaires quand la production hydroélectrique dépend d’un bon fonctionnement des barrages – et donc d’une bonne anticipation de l’étiage et des crues. Côté tourisme, certaines activités de plein air ne peuvent être pratiquées sereinement sans un bulletin météo sérieux. Même le domaine de la santé subit l’influence du climat. « Le paludisme, comme d’autres maladies vectorielles, est saisonnier, dit Ndiaye. Prévenus en avance d’un surcroît d’humidité, les gens peuvent réagir et se protéger. Il en va de même avec la poussière, qui favorise les épidémies de méningite. »
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La météorologie a fait d’incomparables progrès
Prévenir plutôt que guérir, d’autant que la météorologie a fait d’incomparables progrès, favorisés par l’entrée en jeu des satellites et de l’informatique. Aujourd’hui, la trajectoire d’un nuage et sa composition peuvent être anticipées six heures à l’avance ! Pour Dominique Kuitsouc, expert en gestion des risques de catastrophes de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, « la météorologie ne doit pas être une science abstraite, elle doit être mise au service de l’homme ; il faut glisser de la collecte de données vers une météo qui transforme les informations recueillies sur le terrain en produits directement utilisables par les populations vulnérables ».
Même si ces dernières ne peuvent pas payer directement un service qui revient cher : selon Jean-Yves Van Kempen, de l’entreprise française Pulsonic, une station météo automatique coûte à elle seule entre 7 000 et 20 000 euros. « Il faut absolument parler d’une météorologie de développement, martèle Kuitsouc. Les enjeux liés au climat et, bien entendu, aux variations climatiques sont de plus en plus importants. L’Afrique est le continent le plus affecté par les changements actuels. »
Alors que la conférence des Nations unies sur le changement climatique aura lieu fin 2015 à Paris, la plupart des experts insistent sur la nécessité de « sensibiliser les décideurs », de « renforcer les services météorologiques nationaux et la coopération internationale » et « d’améliorer les infrastructures et les législations ». Pour Michel Jarraud, secrétaire général de l’OMM, la coopération internationale est plus que jamais d’actualité : « Les frontières nationales n’ont aucune pertinence. Les ouragans qui affectent les Caraïbes prennent naissance ici, au Cap-Vert. Le temps qu’il fait en Mongolie touche les côtes de l’archipel cinq à sept jours plus tard. Notre objectif ? Un échange en temps réel sur toute la planète, deux ou trois heures après qu’une mesure a été prise sur le terrain. »
Créée en 2010 au Kenya, l’Amcomet est censée « faire en sorte que l’Afrique puisse parler d’une seule et même voix, haut et fort, en ce qui concerne ces sujets d’avenir », à en croire Olushola Olayide, mandatée au Cap-Vert pour représenter l’Union africaine, partie prenante du processus avec l’OMM. Voilà un premier pas encourageant, mais au vu des discussions qui se sont tenues à Praia, il faudra encore un peu de temps avant que ce nouveau « machin » accouche d’autre chose que d’une souris.
Les décisions prises à l’issue de cette troisième session n’étaient pas vraiment du genre à modifier la donne climatique. Outre établir la participation minimale des états membres à 10 000 dollars (9 211 euros) – soit la valeur d’une voiture d’occasion – et militer pour la création d’une Journée africaine de la météorologie (le 29 juin), les membres de l’Amcomet ont entériné l’idée de créer un centre climatique régional en Afrique centrale. Pas certain que ces avancées soient à la hauteur des enjeux.
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