Les sondes spatiales envoyées aux confins du Système solaire en font rêver plus d’un. Mais chaque fois qu’on aborde le sujet, certains mettent en doute la pertinence de dépenser des milliards de dollars pour l’exploration spatiale. En publiant un rapport concernant les retombées économiques des missions spatiales, la NASA nous donne l’occasion d’examiner la question.
Salaires et Contrats
La National Aeronautics and Space Administration (NASA) génère trois fois plus de retombées économiques que son budget, 76 milliards US contre 25 milliards US, affirme le nouveau rapport.
« Cela inclut les salaires et les contrats », explique en entrevue l’économiste en chef de l’agence fédérale américaine, Alex MacDonald.
Le montant des retombées est plus élevé que le budget à cause de l’effet de levier : certaines activités sont financées seulement en partie par la NASA, mais cette contribution est essentielle pour lancer ces projets.
« Nous avons plus d’un millier de partenariats avec des entreprises et des universités », précise M. MacDonald.
Pour expliquer cet effet de levier, il souligne alors la croissance de l’industrie spatiale, qui attire des investissements de plus de 10 milliards US par année dans de nouvelles entreprises américaines. C’est 10 fois plus qu’en 2010.
Cette évaluation concerne l’année 2023, durant laquelle le secteur de l’agence ayant généré les retombées les plus importantes était celui de l’exploration Lune-Mars, avec 24 milliards US.
Depuis sa création en 1958, la NASA a été à l’origine de 2600 brevets et plus de 2000 produits technologiques mis en marché par des entreprises. L’an dernier, l’agence a reçu 69 brevets.
La prochaine étape dans ces évaluations bisannuelles est d’étudier l’impact des brevets et des nouvelles technologies encouragées par l’agence fédérale. « Notre évaluation est actuellement très prudente, souligne M. MacDonald. Comme la moitié de la croissance économique est liée à l’amélioration de la productivité, nous avons certainement un impact encore plus important sur l’économie américaine. »
M. MacDonald n’a pas voulu chiffrer cet impact technologique indirect. Mais quand nous lui avons demandé s’il était aussi grand que l’impact direct mesuré par son rapport, l’économiste a acquiescé. « Je dirais que c’est dans ces eaux-là. »
Climat et Plastique
Les satellites d’observation de la Terre financés par la NASA sont parmi les plus fructueux. L’une de leurs principales missions, intégrée à l’exploration spatiale, consiste à mesurer les changements climatiques. Les investissements de l’agence américaine en technologie et également en recherche sur les changements climatiques génèrent 7,9 milliards US en retombées économiques, pour des dépenses budgétaires légèrement supérieures à 1 milliard US.
Au fil des décennies, les investissements de la NASA en observation de la Terre ont permis l’établissement du système de positionnement GPS, des systèmes de mesure des émissions de gaz à effet de serre de différents secteurs (agriculture, gazoducs, incendies de forêt…), et l’identification des plastiques flottant à la surface des océans ou s’échouant sur les plages.
La manne texane de SpaceX…
La NASA n’est plus le seul géant américain de l’espace. Ces dernières années, l’entreprise SpaceX, fondée par Elon Musk, a également révolutionné l’exploration spatiale et les lancements de satellites avec des prix 10 fois plus bas qu’il y a 20 ans. Et elle promet de casser encore davantage les prix avec sa fusée-mammouth Starship, qui doit faire son sixième test le 18 novembre.
La croissance explosive de SpaceX a ainsi été extrêmement bénéfique pour Brownsville, une ville de 190 000 habitants située à 30 km du spatioport de Boca Chica de SpaceX, au Texas.
« Quand j’étais jeune, les gens qui allaient à l’université devaient se résoudre à aller ailleurs », explique Nathan Burkhart, vice-président à l’innovation de la Corporation d’amélioration communautaire de Brownsville.
« Moi-même, je suis allé à Austin. Mais depuis quelques années, grâce à SpaceX, il y a plein de possibilités. »
Depuis 2019, le nombre d’employés de SpaceX a bondi à 2500. « Ce sont des ouvriers spécialisés, notamment en tuyauterie, explique M. Burkhart. Avant, ils devaient aller travailler dans le pétrole. Ils partaient pour trois semaines et revenaient une semaine à la maison. »
SpaceX a également couvert les coûts de l’élargissement du lien entre le port de Brownsville et l’autoroute voisine. « Elle avait besoin de capacité pour ses pièces qui arrivent au port, indique M. Burkhart. Toute la région en a profité. Maintenant, il y a aussi un terminal pétrolier en construction au port, qui va générer 5000 emplois. »
… et celle de Starlink
Du côté financier, le joyau de SpaceX est Starlink, la constellation de 6500 satellites qui fournissent de l’internet haute vitesse. Ses revenus de 6,6 milliards US, quatre fois plus qu’en 2022, font saliver les analystes.
Mais l’impact sur le plancher des vaches est aussi – sinon plus – important. Starlink a ainsi permis à l’Ukraine de profiter de communications très précises entre ses troupes au front. Et les pays riches, notamment le Canada, y ont recours pour assurer la connexion internet haute vitesse dans les régions.
Depuis quelques années, une dizaine d’études ont constaté que Starlink change aussi la donne dans les pays en voie de développement, comme la Thaïlande, le Zimbabwe et l’Indonésie.
« L’accès internet Starlink a transformé les perspectives de développement de nombreux habitants ruraux de pays émergents », conclut une étude thaïlandaise publiée l’an dernier dans la revue Research on Globalization.
La Lune, Mars et les Astéroïdes
Depuis 1999, l’École des mines du Colorado accueille chaque année au printemps la Table ronde sur les ressources spatiales. Cet événement, axé sur l’exploration spatiale, a attiré cette année plus de 250 participants, deux fois plus qu’il y a 10 ans, y compris une demi-douzaine d’entreprises visant l’établissement de mines lunaires.
Les mines spatiales, seulement pour les astéroïdes, pourraient d’ici 2100 générer des profits de 1500 milliards US, selon un rapport de 2022 de l’Université Harvard.
Mais la partie est loin d’être gagnée. Une entreprise américaine visant à établir des mines sur des astéroïdes, Astroforge, vient tout juste d’obtenir le premier… permis de communications spatiales pour sa sonde Odin, prévue pour 2025.
Même Elon Musk, qui veut coloniser Mars avec ses fusées Starship, est circonspect. Les échanges commerciaux entre la Terre et Mars n’incluront pas de biens physiques produits sur Mars et envoyés vers la Terre. Ce seront plutôt des choses inventées sur Mars qui seront fabriquées sur Terre, selon des plans martiens, a-t-il admis lors d’une conférence à l’Université d’Oxford.