Les sanglots qui la secouent finissent par lui nouer complètement la gorge. Debout au milieu du public du festival South by Southwest, dimanche 15 mars, une femme aux cheveux blancs ne peut retenir ses larmes face à celle qui « l’a tant inspirée ». Sur scène, Lizzie Velasquez lui sourit.
La séquence est presque habituelle pour la jeune femme de 27 ans, enfoncée dans un fauteuil en cuir bien trop large pour elle. Depuis huit ans, Lizzie écume les festivals et conférences des Etats-Unis pour partager son histoire et ses conseils pour avoir confiance en soi.
Lizzie Velasquez sait de quoi elle parle. Atteinte du syndrome de Marfan, une maladie génétique extrêmement rare, elle possède un physique peu conventionnel : 1,60 m pour moins de 30 kilos, « un énorme front » comme elle l’admet elle-même, un œil droit déficient, de maigres membres qui se fatiguent vite… la jeunesse de Lizzie Velasquez s’est partagée entre les dizaines d’opérations chirurgicales destinées à lui permettre de vivre le plus normalement possible et le regard insistant des autres enfants.
Les brimades qu’elle essuie régulièrement dans les cours d’école, Lizzie a pourtant très tôt appris à les ignorer. Elle devient cheerleader au collège, parvient à se constituer un groupe d’amis fidèles et s’appuie sur une famille soudée. Mais tout bascule en 2007. Alors âgée de 17 ans, Lizzie tombe par hasard sur une vidéo intitulée La femme la plus laide du monde. Le visage que l’on voit apparaître quelques secondes à l’image, c’est le sien.
« Si les gens voient ta tête en public ils vont devenir aveugles » ; « mets-toi juste un pistolet sur la tempe et tue-toi » ; « brûlez-la ! » Sous la vidéo, des centaines de commentaires dégoulinant de haine font chavirer la vie de la jeune fille : désormais, elle fera tout pour lutter contre ce fiel déversé sur Internet, et tout pour inspirer et redonner confiance aux personnes qui, comme elle, ont pu souffrir de ce genre de comportement.
« J’ai commencé ma chaîne Youtube comme une réponse directe au harcèlement en ligne », explique-t-elle au micro. De vidéo en vidéo, elle parle des petites choses du quotidien, toujours avec humour et une certaine autodérision. « Si je porte des talons en public, je ressemble à un faon qui apprend à marcher », s’amuse-t-elle par exemple dans une vidéo postée en février 2014.
Progressivement, elle fédère autour d’elle une petite communauté. Mais c’est véritablement en décembre 2013 que la machine s’emballe. Conviée à une conférence TEDx consacrée aux femmes, à Austin sa ville natale, elle fait passer la salle du rire aux larmes en racontant ses premières expériences à l’école, délivrant un message simple : « Vous seules décidez de ce qui vous définit. »
Plus de sept millions de vues (dix, en comptant la version espagnole) et un an et demi plus tard, le discours n’a pas changé, passant même des ordinateurs aux écrans de cinéma. Tombée sous le charme lors de la conférence, la réalisatrice Sara Hirsch Bordo a en effet décidé de consacrer son premier film à la vie de Lizzie. Présenté pour la première fois cette année au South by Southwest, A Brave Heart : The Lizzie Velasquez Story a été chaudement accueilli par le public du cinéma Paramount d’Austin.
Mais Lizzie Velasquez n’entend pas s’en arrêter là. « J’ai raconté mon histoire pendant des années », nous confie-t-elle au téléphone deux jours plus tard. « Après avoir fait ça pendant huit ans, je suis prête pour la prochaine étape : je veux pouvoir pouvoir parler au nom de toutes les victimes de harcèlement, en ligne et en général. »
Se considérant désormais comme une militante, la jeune femme tente à présent de faire voter une nouvelle loi contre le harcèlement au Parlement américain. Un combat qui ne fait que commencer, comme en témoigne une séquence du documentaire montrant Lizzie arpenter les couloirs du Capitole, faisant en vain du porte-à-porte d’un bureau de député à un autre.
« On va continuer à faire autant de lobbying que possible », assure-t-elle avec cette conviction désarmante dont elle semble ne jamais se départir. Déjà auteure de trois livres, Lizzie Velasquez songe à présent se lancer dans une série d’ouvrages pour enfants ayant pour personnages principaux des jeunes atteints de handicap.
Olivier Clairouin (Austin, envoyé spécial)
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