Le face-à-face tant attendu entre le président américain, Barack Obama, et son homologue cubain, Raul Castro, a finalement eu lieu, samedi 11 avril en début d’après-midi, en marge du septième Sommet des Amériques, au Panama.
Leur réunion à huis clos a été suivie d’une brève rencontre conjointe avec la presse, au cours de laquelle les deux présidents sont apparus très décontractés, parlant presque à l’unisson. Dans un Sommet où les voix dissonantes n’ont pas manqué, le rapprochement entre les États-Unis et Cuba, deux voisins ennemis pendant 56 ans, fait figure d’événement encourageant, mais exceptionnel.
Barack Obama a été le premier à prendre la parole devant les caméras : « Après 50 ans sans changement de la politique américaine à l’égard de Cuba, j’ai pensé qu’il était temps de tenter autre chose ». « Le fait que le président Castro et moi soyons assis ici aujourd’hui représente un évènement historique », a poursuivi le président américain, estimant que le changement de cap dans la politique cubaine des Etats-Unis marquait « un avant et un après dans l’hémisphère ».
« Tout peut se discuter »
L’administration Obama estime être en mesure de surmonter les difficultés du passé et d’ouvrir la voie vers l’avenir. La majorité des deux peuples répond d’ailleurs favorablement à ces changements. M. Obama estime que l’intensification des contacts directs et des connexions aura des retombées positives sur les modifications en cours dans les deux nations.
Bien entendu, a poursuivi le président américain, il restera des « différences profondes » entre les deux gouvernements. Washington « continuera à évoquer la démocratie et les droits de l’homme et le discours passionné du président Raul Castro au Sommet montre qu’il ne manquera pas de faire part de ses préoccupations sur la politique américaine ».
Il est possible selon lui d’être en désaccord tout en respectant l’autre, le temps se révélant être le meilleur allié pour « tourner la page ». M. Obama a loué l’esprit d’ouverture et la courtoisie de M. Castro lors de leurs rencontres. L’essence de sa politique, a-t-il assuré, vise à favoriser la prospérité des Cubains et l’épanouissement « de leurs incroyables talents, ingéniosité et capacité de travail ».
Raul Castro, qui a succédé à son frère Fidel en 2006, s’est dit disposé à aborder de tous les sujets concernant Cuba et les États-Unis. « Tout peut se discuter si cela se fait avec beaucoup de respect pour les idées de l’autre », a assuré le chef d’Etat cubain, qui a abondé dans le sens de son homologue sur la question des droits de l’homme. En somme, les deux parties sont tombées d’accord sur le fait qu’elles pouvaient avoir des désaccords.
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Les récriminations persistantes
Ce climat apaisé contraste avec les discours prononcés au cours de la séance plénière du Sommet, samedi matin. Alors que les 35 chefs d’Etat et de gouvernement disposaient de 8 minutes chacun, Raul Castro a justifié de parler six fois plus car Cuba était représentée pour la première fois dans ce type de conférence. Il a procédé à une virulente évocation des interventions des États-Unis dans l’île depuis le XIXe siècle et des méfaits du « blocus » américain depuis un demi-siècle.
Il a rappelé avec le ton dramatique d’un ancien combattant le débarquement anticastriste de la baie des Cochons (1961). Il a néanmoins affirmé que Barack Obama n’était nullement responsable de cette politique, contrairement à ses dix prédécesseurs à la Maison Blanche. Il a affirmé aussi que le président américain était un « honnête homme » et a loué sa demande au Congrès de lever l’embargo, tout comme le retrait de Cuba de la liste des États soutenant le terrorisme.
Cette longue digression historique suivait l’intervention de M. Obama lui-même devant ses pairs des Amériques et des Caraïbes. Avec un mélange de décontraction et d’ironie, le président américain a dit qu’il appréciait les leçons d’histoire qu’on lui prodiguait lors de ces sommets. Il a rappelé ses propres souvenirs de la lutte de Martin Luther King pour les droits civiques. Mais il préfère régler les problèmes et se tourner vers l’avenir au lieu de laisser les Etats-Unis « prisonniers de leur passé ».
Le premier à égrener des récriminations historiques avait été le président équatorien, Rafael Correa. Après Raul Castro, la présidente argentine, Cristina Kirchner, a défié à son tour son homologue américain : « J’adore l’Histoire ». Outre les leçons du passé, elle a défendu les idéologies et critiqué les organisations non gouvernementales (ONG), coupables à ses yeux de financements obscurs et de manœuvres déstabilisatrices.
« Obama n’est pas George W. Bush »
Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, a poussé les analogies historiques plus loin : il a comparé l’invasion militaire américaine du Panama, en 1989, et la menace qui pèserait aujourd’hui sur le Venezuela. « Obama n’est pas George W. Bush, a-t-il affirmé. Je respecte Obama, mais je ne lui fais pas confiance. »
Pas surprenant, puisqu’il a accusé l’ambassade des États-Unis à Caracas de conspirer en vue de son assassinat. L’intervention d’Evo Morales, le président de la Bolivie, a renchéri en mettant en parallèle le passé colonial d’Amérique latine et le présent, où l’Empire est incarné par les États-Unis.
Ces opinions expliquent qu’il n’y ait pas eu de consensus pour adopter une déclaration finale du Sommet des Amériques, en dépit d’un minimum commun dénominateur constitué par le soutien unanime au rapprochement entre Washington et La Havane, ainsi qu’aux négociations en cours entre Bogota et la guérilla colombienne.
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Obama et Maduro ont eu un « bref échange »
Le président américain Barack Obama a eu samedi un « bref échange » de quelques minutes avec son homologue vénézuélien Nicolas Maduro en marge du Sommet des Amériques. Le président Obama a répété que « notre intérêt n’est pas de menacer le Venezuela mais de soutenir la démocratie, la stabilité et la prospérité au Venezuela et dans la région », a indiqué à la presse Katherine Vargas, porte-parole de la présidence américaine.
L’échange a eu lieu alors que M. Obama quittait le sommet. Le président américain a également répété « son fort soutien à un dialogue pacifique » au Venezuela, pays secoué par une crise économique et politique, avec plusieurs opposants au gouvernement socialiste de Nicolas Maduro emprisonnés.
Paulo A. Paranagua (Panama, envoyé spécial)
Journaliste au Monde