Parmi les scientifiques ayant participé à la mission de la NASA, qui a permis l’occultation d’Ultima Thule, l’autre nom de l’objet 2014 MU69 au Sénégal, en août dernier, se trouve Salma Sylla.
Première doctorante sénégalaise en astronomie, cette femme au parcours atypique est, dans son pays, le porte-étendard d’une discipline qui attire généralement peu de femmes : l’astronomie.
Salma Sylla faisait partie, au mois d’août dernier, d’une vingtaine d’astronomes et de scientifiques sénégalais qui accompagnaient l’équipe New Horizons de la NASA, pour observer le survol d’un objet ancien appelé Ultima Thule (au-delà du monde connu) en orbite juste au-delà de Pluton.
SciDev.Net s’entretient avec elle sur son parcours, ses responsabilités et les défis à relever pour mener à bien ses recherches.
Comment êtes-vous devenue femme scientifique ?
Je suis passionnée par la science et j’aimais les mathématiques depuis le cours secondaire, grâce à un professeur qui nous a inculqué l’amour de la matière. Après un baccalauréat scientifique, j’ai poursuivi à l’université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar, des études en physique et chimie et j’ai obtenu un diplôme d’Études approfondies en physique atomique et nucléaire. Depuis le secondaire, j’étais très attirée par les sciences spatiales, mais l’idée d’obtenir un doctorat en astrophysique a été stimulée par ma rencontre en 2010 avec le professeur Katrien Kolenberg, astrophysicienne belge, lors d’une conférence internationale organisée à Dakar par le professeur Ahmadou Wagué, ancien directeur de l’Institut de Technologie Nucléaire Appliquée et regroupant des physiciens du monde entier.
“L’Afrique a besoin de plus de scientifiques pour combler son retard et l’implication des filles peut aider à améliorer les statistiques et à relever notre niveau de développement”
Salma Sylla
Avez-vous été confrontée à des résistances de la part de la famille, pour avoir embrassé une filière scientifique ?
Dans ma famille, j’ai toujours eu le soutien de mon entourage dans mes choix. Pour me motiver, mon père me disait que les filières scientifiques offraient plus d’opportunités. Ainsi, bien que n’étant pas scientifiques, mes parents m’ont toujours encouragée et accompagnée dans mes études en sciences.
À quels types de défis avez-vous été confrontée dans votre cursus universitaire ?
Au Sénégal, il n’est pas possible de faire un doctorat en astronomie sans la collaboration d’autres laboratoires internationaux. On ne dispose pas encore d’observatoire astronomique pour pouvoir réaliser des observations du ciel, ni de documentations adaptées à la recherche en astronomie. De plus, l’astronomie n’est pas enseignée à l’université. En ce qui me concerne, mon doctorat se fait dans le cadre d’un partenariat entre le Sénégal, la Belgique, le Maroc et la France. Ce projet a été proposé dans le contexte de l’AFIPS [l’Initiative Africaine pour le Développement des Sciences Planétaires et Spatiales NDLR). David Baratoux − l’un de mes co-encadrants − fait partie du groupe de chercheurs qui ont eu l’idée de ce projet.
Vous êtes la première doctorante sénégalaise en astronomie. Quel sentiment cela vous procure-t-il ?
J’éprouve un sentiment de fierté et de responsabilité. Le fait d’être la première à m’inscrire en doctorat en astronomie dans notre université au Sénégal est un grand défi. Au-delà de la carrière scientifique que ce doctorat me permettra de suivre, le succès de ce projet de thèse pourrait renforcer la recherche et permettre l’introduction de l’enseignement de l’astronomie dans nos universités.
Sur quoi portent vos travaux de recherche et quelle en est l’utilité pour la société en général et pour le Sénégal en particulier ?
Mes travaux de recherche portent sur la comparaison du flux d’impact sur Jupiter et sur la lune. Il s’agit de surveiller les collisions météoritiques sur Jupiter et la lune à partir de télescopes positionnés au sol, afin d’apporter des contraintes au flux d’impact présent dans le système solaire, qui est mal connu.
À quoi cela sert-il ?
L’objectif est d’apporter des informations utiles pour la datation des surfaces planétaires, par comptage des cratères d’impact, qui sont les traces d’impacts météoritiques. Il existe en effet une relation entre l’âge d’une surface et le nombre de cratères présents. Ces travaux pourront être appliqués dans le futur observatoire astronomique actuellement en construction. Cela permettra au Sénégal de nouer des partenariats et de participer à l’échelle internationale aux différentes campagnes d’observation d’impacts météoritiques pour lesquelles la communauté scientifique encourage les collaborations, afin d’augmenter les temps d’observation pour de meilleurs résultats. Il s’agit donc pour le Sénégal d’un projet qui favorise une insertion durable dans la communauté des astronomes.
Bénéficiez-vous du soutien du gouvernement sénégalais ?
Mon projet vient juste d’être sélectionné pour une bourse de mobilité vers la France dans le cadre d’échanges scientifiques. Je pourrai donc bénéficier d’une bourse du gouvernement sénégalais. Je suis également soutenue et encouragée par Maram Kaïre, conseiller technique du ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. Il faut cependant noter que ce soutien du gouvernement sénégalais s’accompagne d’ambitieux projets dans le domaine spatial pour le pays (l’observatoire astronomique en construction à la cité du savoir à Diamniadio, et l’accord que le gouvernement vient de signer avec le Centre national d’études spatiales, en France – CNES).
De quels autres moyens disposez-vous pour mener vos recherches ?
Durant ma première année, j’ai bénéficié d’une bourse de la fondation Father Louis Bryuns, qui m’a permis de séjourner en Belgique comme étudiante en visite scientifique à l’Université d’Anvers. J’ai également le support de l’Organisation des femmes en Science dans les pays en voie de Développement (OWSD), qui me permet d’effectuer des visites scientifiques à l’Observatoire de l’Oukaimeden, au Maroc. Ces financements sont insuffisants et il faut frapper à plusieurs portes pour que ce projet réussisse, raison pour laquelle j’espère que l’ambassade de France au Sénégal réponde favorablement à ma demande de bourse.
Y a-t-il déjà des résultats probants de vos recherches que vous aimeriez partager avec notre audience ?
En ce moment, nous sommes en phase de préparation de nos campagnes d’observation des flashs d’impact sur Jupiter. La planète commence à être visible vers la fin du mois de janvier et son observation devient plus adéquate entre mai et septembre. Je suis très enthousiaste et impatiente de trouver mon premier flash et de le partager avec vous.
Vous avez participé à la mission d’observation de 2014 MU69 au Sénégal en août dernier. Quels enseignements en avez-vous tiré ?
La mission d’observation de l’occultation de 2014 MU69 au Sénégal fut un succès car on a pu observer le passage de 2014 MU69 devant l’étoile, malgré le mauvais temps (saison des pluies). Sur les 21 sites d’observation situés dans les régions de Louga et Thiès, seuls trois ont pu recueillir des données utiles. La mission était composée de chercheurs américains, français et sénégalais répartis sur les 21 sites. Ultima Thulé devait être visible dans la nuit du 3 au 4 août 2018 en Colombie et au niveau de trois autres pays en Afrique, dont le Sénégal. La NASA a opté pour le Sénégal, à cause de sa stabilité politique et de l’existence d’une équipe de chercheurs enthousiastes et d’une association très dynamique d’astronomes amateurs, l’Association sénégalaise pour la promotion de l’astronomie (ASPA). À noter aussi que ce projet était soutenu avec beaucoup d’enthousiasme par le gouvernement sénégalais, précisément par le ministre Mary Teuw Niane.
Vous êtes membre de l’Organisation pour les femmes dans la science pour le monde en développement (Organization for Women in Science for the Developing World – OWSD). Que vous apporte votre appartenance à cette organisation ?
L’OWSD encourage les collaborations scientifiques entre les pays en voie de développement dans le monde, en Afrique, en Asie, en Amérique Latine et aux Caraïbes. Elle offre des bourses de mobilité aux femmes scientifiques qui souhaitent suivre un master, un doctorat ou un postdoctorat. L’organisation a également un programme de financement dédié aux laboratoires de recherche pour les femmes en début de carrière. Je suis membre et boursière de l’organisation et avec d’autres membres qui sont aussi au Sénégal, nous sommes en train de mettre en place un chapitre national pour mieux faire connaître les actions d’OWSD au niveau local. Notre objectif est de rendre visible l’organisation, afin de faire bénéficier plus de femmes sénégalaises. Nous prévoyons également dans nos activités d’organiser des visites de proximité dans les écoles, pour encourager et motiver les jeunes filles à choisir les filières scientifiques.
Quel discours tiendriez-vous à l’endroit de ces jeunes filles ?
La science n’est pas une question de genre et j’encourage les jeunes filles à embrasser les filières scientifiques sans crainte. Elles ont toutes les dispositions et la capacité intellectuelle de faire de brillantes carrières scientifiques et de participer au développement de la science à l’échelle locale et mondiale. Je les invite à découvrir la beauté de la science et à faire émerger la science pour le développement de leur pays. L’Afrique a besoin de plus de scientifiques pour combler son retard et l’implication des filles peut aider à améliorer les statistiques et à relever notre niveau de développement. Par ailleurs, en choisissant les filières scientifiques, les filles peuvent bénéficier de soutiens d’organisations telles que l’OWSD, qui soutiennent les femmes souhaitant faire de la recherche scientifique.
Quel est votre plus grand projet ou rêve d’astrophysicienne ?
Mon plus grand projet d’astrophysicienne est d’avoir un grand laboratoire de recherche, de développer des thèmes variés, en partenariat avec d’autres équipes internes et externes, de former beaucoup de jeunes et de participer à l’émergence de l’astronomie au Sénégal et dans la sous-région, pour un développement équitable de la recherche en astronomie en Afrique.
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