Quand on parle de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le campus social est souvent relégué au second plan ou même oublié. Et pourtant c’est un facteur qui détermine même la condition des étudiants. La vie n’y est pas souvent facile. Si pour les uns c’est «l’El dorado», c’est loin d’être le cas pour les autres. En dépit des problèmes que tout le monde connait, notamment avec la nourriture, l’accès aux logements entre autres, chacun y vit avec ses soucis personnels.
Le regard absent, une mine désolée, Khalil marche seul, revenant de la boutique. Originaire de la région de Tambacounda, il en est à sa troisième année au département de Géographie de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (Flsh). Son problème, c’est comment trouver de l’argent pour régler de petites dépenses. «Je suis allé à la boutique pour vendre quelques-uns de mes tickets de restauration parce que j’ai besoin d’argent», confesse-t-il. Faisant partie d’une modeste famille, Khalil n’a que ses études et sa bourse de 36.000 Fcfa dont il partage la moitié avec sa famille. «Je ne suis pas de Dakar, alors je ne peux qu’aider mes parents qui sont au village. Même si ma bourse est très dérisoire», ajoute-t-il. Plus d’une fois, il lui arrive de vendre ses tickets de restauration pour avoir de l’argent de poche afin de régler quelques nécessités urgentes. «Avant la fin du mois, je suis presque à sec. Il ne me reste que des tickets à revendre. Je vais dans les boutiques soit pour les échanger contre un produit ou de la nourriture, soit contre de l’argent», explique-t-il. Le payement des bourses n’étant pas toujours régulier, ce jeune étudiant se voit obligé de taper à gauche et à droite pour «survivre au sein du campus». Il n’est pas le seul. Beaucoup d’étudiants se trouvent dans la même situation. Faute de famille proche ou de soutien, ils n’ont d’autres choix que de se rabattre sur ce trop. Après avoir perçu leurs bourses, ils achètent de nombreux tickets. Tickets qu’ils revendent quand les poches sont trouées.
Ceux-ci sont les étudiants qui ont de la baraka, ceux qui sont des boursiers et qui peuvent faire des réserves de tickets. Il y’en a qui vivent au jour le jour et qui lorsqu’ils n’ont plus le prix du billet, font le tour des chambres pour récupérer des morceaux de pain sec qu’ils grignotent pour tromper leur faim. Ils sont des miséreux qui vivent comme des gueux parce que tout simplement ils sont désargentés, loin de leurs familles, mais avec une volonté à toute épreuve.
Du petit commerce pour survivre
D’autres, plus débrouillards, s’adonnent à de petites activités. Coiffeurs, photographes, imprimeurs, photocopieurs, commerçants etc, rien n’est laissé au hasard, du moment que ça rapporte. De plus en plus, les étudiants concilient études et petits commerces. Les vêtements et chaussures sont les plus prisés. Ils font le tour des pavillons, chambre après chambre, pour vendre leurs produits. Ils se font des clients réguliers, augmentant ainsi leur marché et leurs gains.
Sorti du pavillon Q, un jeune homme semble très encombré par ses nombreux bagages. Sac au dos, deux grands sachets remplis aux bras, il marche à peine droit. Le visage émacié, l’air heureux, il donne l’impression d’avoir conclu une grande affaire dans ce pavillon uniquement réservé aux filles. Il vend des vêtements féminins. Lui aussi est étudiant. «Mais ca ne m’empêche pas de faire un petit boulot», explique-t-il. Différentes raisons ont poussé Amadou ou «Fashion», comme se plaisent à l’appeler les jeunes filles, à se lancer dans le commerce de vêtements féminins. «Cela fait maintenant 3 ans que je fais ce petit commerce et j’ai toujours vendu des articles pour filles», confie-t-il. Même s’il est étudiant, il ne loge pas au campus, mais profite de son temps libre pour mener sa petite affaire. Ces jours ci où les cours sont suspendus, il passe ses après-midi dans les chambres. «Je n’ai pas cours ces jours-ci alors j’en profite pour me faire le maximum d’argent. En plus j’avais des commandes à livrer». Parfois il s’en sort, parfois non. «Ce n’est pas tous les jours que je me frotte les mains. Parfois mes clientes sont fauchées, alors je leur fais des prêts à rembourser quand la situation se décantera», dit-il. Les filles du pavillon Q semblent bien apprécier leur ami «Fashion» de part leur attitude envers lui.
Elles dorment dans les couloirs
Le pavillon Q, très «convoité», regorge aussi de mystères. Peint en rose (au goût des jeunes filles), ce bâtiment de quatre étages n’est réservé que pour les filles. Les chambres, le plus souvent à trois lits peuvent loger jusqu’à 12 personnes ou parfois plus «du moment qu’il y a un endroit où poser la tête la nuit». Il y’en a qui dorment dans les couloirs, avec le froid de la nuit. Le jour, elles demandent à ce qu’on leur garde leurs matelas, elles ne reviennent que la nuit. La jeune fille qui a accepté de nous parler à voulu garder l’anonymat, mais explique sa situation. «On ne m’a pas attribué de chambre et j’habite à Tivaouane Peulh. Je suis en période d’examen et je me lève tôt. Donc je ne peux pas quitter chez moi tous les jours pour la fac. Mes parents pensent que je dors dans la chambre d’une amie, mais les choses se sont corsées entre temps. Et je ne peux pas leur dire la vérité de peur qu’ils ne s’inquiètent. Du coup, je dors dans les couloirs et je ne suis pas seule dans cette situation. Le froid est très dur, mais ce n’est qu’une question de temps. Je finis bientôt mes examens et je pourrais rentrer chez moi», nous dit-elle.
Disputes et bagarres à la pelle
Même ceux qui ont la chambre d’être attributaires de chambres vivotent. La vie au campus n’est pas, en effet, toujours facile avec le nombre pléthorique de personnes dans les chambres. Des cas de vols y sont souvent signalés, ou encore des disputes ou pire des bagarres. Surtout du coté des filles. Certaines se laissent même draguer pour profiter de la bourse de leurs copains en contrepartie de certaines faveurs. Les temps sont durs. Et tous les moyens sont bons pour certains pour tirer leur épingle du jeu.
En dépit de tous les problèmes qu’ils peuvent rencontrer, certains étudiants font de leur vie dans cet espace une existence paisible où règnent la solidarité, la joie et la bonne humeur. Ils vivent en parfaite harmonie, sans tenir compte des problèmes quotidiens. «Demain est un autre jour», comme le disent certains d’entre eux. La nuit, chacun vaque à ses occupations. Des couples qui se dessinent, des groupes de garçons qui se constituent, et « le coin des musiciens » qui refuse du monde. Les «artistes» se retrouvent quelque part, avec leurs instruments de musique et jouent. Les passants se plaisent à la mélodie qui couvre l’atmosphère. Des matchs nocturnes s’organisent la plupart du temps, ou encore des parties de basketball. Le campus se transforme en un espace «quasi normal». Une manière de camoufler la chienne de vie des étudiants !
Source : seneweb.com