Ancien responsable des jeunes démocrates aux États-Unis et proche de Barack Obama, Thione Niang est de nouveau basé au Sénégal où il cultive des champs. Son projet : former des jeunes et travailler la base de toute activité économique, l’agriculture.
Cette célébrité internationale au profil musclé reçoit chez lui en toute simplicité, en pantalon wax et T-shirt noir. Sa maison, discrètement plantée au bord d’une plage, à une heure de Dakar, est à son image. Pour y entrer, il faut traverser un garage transformé en hall, dont les murs sont peints comme une rue de Brooklyn. Se succèdent en noir et blanc les portraits géants de Nelson Mandela, Martin Luther King, Rosa Park, Bob Marley et Cheikh Ahmadou Bamba, fondateur de la confrérie musulmane des mourides au Sénégal.
Au salon, à l’étage, un portrait de Barack Obama trône près de la télévision, plus petit que celui de Bob Marley, sous un immense cadre en verre posé à même le sol. Ici, des livres et là, une guitare. Sur le mur, une autre fresque représente Thione Niang aux États-Unis, entouré par ce qu’on devine être sa famille, ses amis, sa communauté. Le portrait de son défunt grand-père Mam Thione, en médaillon dans le ciel, veille sur son monde.
Sans façon, le maître des lieux propose un dîner à ses visiteurs du soir. Il ne donne de consignes à personne et passe en cuisine pour le préparer lui-même. Il sert poulet, oeuf, salade et niébés, un plat simple et délicieux, tout frais sorti de ses champs.
De Kaolack à Cleveland
Son parcours relève de l’une des success-stories les plus emblématiques des États-Unis. À 30 ans, en 2008, Thione Niang s’illustre dans la campagne électorale de Barack Obama. Il fait sien le slogan « Yes, we can » jusqu’au bout des ongles, et apprend au premier président noir des États-Unis deux mots de wolof chers à son coeur : Nio far (« On est ensemble »).
Issu d’une famille pauvre et polygame du quartier de Medina Baye, à Kaolack, une ville du centre du Sénégal, il part à 16 ans terminer ses études secondaires au lycée Blaise Diagne à Dakar. En 1998, comme tant d’autres, il rêve des États-Unis où est déjà partie toute une vague de jeunes Sénégalais depuis le début des années 1990. Son objectif, des plus banals au Sénégal : aider financièrement sa mère, ses frères et ses soeurs. À quatre reprises, il demande le visa, avant d’atterrir en 2000 à New York, dans le Bronx, avec 20 dollars en poche. La solidarité qui prévaut dans la communauté sénégalaise des États-Unis fonctionne à plein. Il est accueilli par des contacts, et trouve vite un emploi dans un restaurant.
Ses connexions le mènent à Cleveland, Ohio, où il travaille dans un hôtel Marriott tout en poursuivant ses études et en enseignant le français dans un quartier noir de la ville. « Ce travail m’a réveillé, raconte-t-il. Je voyais beaucoup de jeunes Africains-Américains de 14 et 15 ans qui allaient en prison. Je me suis demandé comment faire une différence dans cette grande ville où les jeunes Noirs sont laissés à des familles de mères célibataires, sans mentor ni rôle modèle. La crise économique frappait dur, à cause de la délocalisation des industries de Cleveland vers l’Asie ».
De Cleveland à Washington
Il s’engage en 2005 comme volontaire dans la campagne d’un conseiller municipal démocrate, Kevin Conwell, en espérant qu’il pourra changer la vie de ces jeunes. Remarqué pour son dynamisme et sa capacité de mobilisation, il participe la même année en tant que directeur adjoint à la campagne du candidat à la mairie Frank Jackson, démocrate métis réélu trois fois depuis et toujours en fonctions. Il oeuvre ensuite aux côtés de la députée noire Shirley Smith, présidente du Black Caucus pour l’Ohio, candidate aux sénatoriales.
Elle lui permet de rencontrer le sénateur Barack Obama en 2006, à Columbus. Il rejoint quelques mois plus tard la campagne du candidat déclaré à la présidentielle en tant que « community organizer » des jeunes démocrates pour le comté de Cuyahoga. Il contribue à lever des fonds et diffuser des messages de proximité sur les réseaux sociaux. En 2009, après une élection historique, il est nommé président chargé des affaires internationales des jeunes démocrates des États-Unis.
De Washington au Sénégal avec Give1 Project
En 2012, il appelle de nouveau les jeunes Américains à soutenir Barack Obama pour « protéger le rêve américain » et lance à ses côtés la campagne officielle. Président national de Generation 44 (Gen44), Obama étant 44e président des États-Unis, Thione Niang dirige le comité financier de la campagne destiné aux moins de 40 ans. Il est sélectionné la même année par le Center for American Progress parmi les 10 activistes noirs les plus « audacieux » des États-Unis.
Dès 2009, inspiré par un discours d’Obama, il pense à lancer sa fondation, qu’il baptise Give1 Project. Présente dans 34 pays à travers le monde, dont 23 en Afrique, elle se préoccupe du sort et de l’autonomie des jeunes. Il se sent concerné par le sort des jeunes migrants, jusqu’au Salvador ou au Guatemala qui tentent l’aventure vers les États-Unis au péril de leur vie. Thione Niang veut les aider à se construire un avenir chez eux, dans leur pays, en les formant et incubant des porteurs de projets. « Je suis allé à Ceuta, à la frontière entre le Maroc et l’Espagne, et j’ai vu le même phénomène, témoigne-t-il. Des gens traversent l’océan pour chercher des opportunités en Europe. Je les ai rencontrés, ils vivent dans les forêts, dans des conditions difficilement explicables. »
Son expérience avec Give1 Project lui vaut des invitations dans bien des conférences, au Medef en France et pour un discours TEDx notamment. Elle l’a conduit à faire une tournée dans dix pays d’Asie pour parler d’entrepreneuriat social. « Le capitalisme tel qu’il est pratiqué aux États-Unis ne fonctionne pas, dit-il. Au final, il oublie la base, les masses, et génère des inégalités impossibles à combler. L’entrepreneuriat social vise ces inégalités, il se situe entre le monde des affaires et les associations à but non lucratif, pour faire du bien tout en faisant de l’argent. »
Entrepreneur social avec JeufZone au Sénégal
« Nous ne faisons que du concret et du sérieux, poursuit-il. On ne vend pas du vent, car nous sommes ici chez nous ». Nationaliste africain, très attaché au rêve panafricain de ses aînés, il a repris pied au Sénégal en 2015. Il critique le contrôle exercé par des capitaux étrangers sur les économies africaines, mais ne veut surtout pas faire de politique chez lui, où il est redouté pour sa force de frappe potentielle. Pour éviter de devenir une boule dans un jeu de quilles, il ne parle plus à la presse depuis deux ans. « Il est possible de changer les choses par l’entreprise », résume-t-il, tout en pointant la responsabilité de tous dans sa société, dans la longue chaîne de « dépendance » qui fait qu’un actif fait vivre « 30 personnes en moyenne ».
Persuadé que tout leadership consiste à donner l’exemple, il a décidé voilà quatre ans de cultiver des champs au Sénégal. Sur 75 hectares, il pousse les jeunes à changer de perspective sur l’agriculture et l’initiative en général. « Ce n’est pas un travail de pauvre dans des villages sans eau ni électricité qu’il faut absolument quitter pour trouver un job de gardien à Dakar. L’agriculture est noble, elle compte parce qu’elle est la base de notre indépendance économique. C’est elle qui nourrit le pays. »
Dont acte : il fournit des terres, de l’eau, du matériel avec son entreprise JeufZone (« Zone d’action » en anglais et wolof), mais pas de salaire. JeufZone se rembourse en prenant 50% des bénéfices sur les ventes de tomates, et veille à construire un réseau de distribution indépendant, pour créer toute une chaîne sans intermédiaires. L’entreprise approvisionne ses propres restaurants jusqu’à Dakar, et a monté un site Internet pour délivrer ses produits frais. JeufZone propose aussi des formations de six mois à l’agriculture et la gestion.
Également actif dans le mégaprojet Akon Lighting Africa, qu’il porte avec le rappeur Akon et leur associé Samba Bathily, Thione Niang voyage constamment. Il revient tout juste du Japon où il a rencontré des partenaires qui ont développé des drones pour gérer l’irrigation des champs. Ce jeune quadra a déjà écrit ses Mémoires d’un éternel optimiste (Washington Publishing), pour raconter sa jeunesse et motiver ses lecteurs. Il a la vie devant lui, pour réaliser ses nombreux projets.
rfi.fr