TRIBUNE. Avec sa fulgurante croissance démographique, le continent va devoir innover pour ses futures métropoles. Il pourrait s’inspirer du saut de grenouille qu’il a opéré dans les télécommunications.
Saut de grenouille, bond de gazelle. Les expressions ne manquent pas pour illustrer la manière dont l’Afrique pourrait franchir les défis qui s’offrent à lui sur le plan technologique, industriel et économique. Petit rappel : « Saut de grenouille », c’est l’expression utilisée pour désigner le passage de l’Afrique d’un modèle sans téléphonie à une société fondée sur l’usage du portable, sans passer par le fixe. En appliquant le même raisonnement face à la nécessité de rendre plus intelligentes les métropoles africaines, on pourrait se permettre l’expression « bond de gazelle ».
Qu’en est-il concrètement ? L’Afrique est le futur géant démographique de la planète. D’ici à 2100, sa population devrait croître de 1,2 milliard d’habitants (17 % de la population mondiale) à 4,4 milliards (40 % de la population mondiale). Corollaire de cette croissance massive et prévisible : une urbanisation qui pourrait s’avérer chaotique si rien n’est fait pour l’organiser.
Pour relever les défis auxquels doivent déjà faire face certaines villes, de nombreux urbanistes et responsables publics misent sur la Smart City, à savoir le recours au numérique pour optimiser les flux urbains : gestion des transports, de l’énergie, des déchets… Pour les pays africains, ce challenge demandera investissement et vision de la part des décideurs : comme la téléphonie en son temps, l’état des infrastructures électriques du continent est souvent bien en dessous des normes internationales.
Économiser l’énergie, décongestionner les villes, fluidifier la mobilité
Il s’agirait toutefois de mettre le pied à l’étrier. Comme le disait Jacques Chirac en son temps, partout sur le continent, « la maison brûle ». Alors que les conséquences du changement climatique sont déjà perceptibles dans deux villes sur trois, les programmes d’efficacité énergétique se multiplient. La Tunisie a mis en place un projet visant à diffuser l’éclairage LED et l’utilisation de panneaux solaires dans 6 000 mosquées. En Côte d’Ivoire, le déploiement de compteurs communicants via le Programme énergie pour tous permet un pilotage et une facturation plus juste. Du Sud aux Grands Lacs, en passant par l’Afrique de l’Ouest, les projets innovants essaiment : Vision City (Rwanda), Hope City (Ghana), Waterfall City (Afrique du Sud) ou Sèmé City (Bénin). En Égypte, la future capitale administrative, « la ville la plus high-tech du pays », aura pour ambition de décongestionner Le Caire.
Désengorger une capitale qui ne respire plus : c’est aussi l’enjeu de Diamniadio, le nouveau pôle urbain de Dakar. Comme au Caire, les principales activités administratives et économiques ont vocation à être hébergées dans une ville nouvelle, faite de bâtiments intelligents et d’infrastructures de transport durables. Pour ce faire, Dakar a choisi RATP Smart Systems, filiale du groupe de transports en commun français RATP, pour développer le futur système billettique de ses transports publics. Dans le cadre d’un contrat Fasep (un fonds d’étude financé par la direction du Trésor), RATP Smart Systems va construire pour Dakar un système de transport interopérable et multimodal : c’est-à-dire que les usagers pourront se rendre d’un point A à un point B, quel que soit le mode de transport, avec un seul billet. Une simplification qui devrait stimuler l’utilisation du transport en commun au sein du Grand Dakar. Moins ambitieux, mais déjà populaire, WaitMoi, une plateforme camerounaise de covoiturage, permet la mise en relation des citoyens avec des professionnels du transport collaboratif. Sa grande force ? Diriger les clients vers des opérateurs certifiés, et les éloigner des acteurs informels.
L’autre défi : les populations isolées
Derrière cette liste à la Prévert de projets tous aussi innovants les uns que les autres, c’est une nouvelle Afrique qui se dessine. Apprenant des échecs de leurs homologues européennes, américaines ou asiatiques, les futures mégalopoles africaines entendent ainsi répondre à leurs problèmes endémiques tout en créant la ville de demain. L’urbanisation massive et les chantiers colossaux qui s’annoncent ne doivent pas faire oublier les besoins spécifiques des campagnes. Aujourd’hui, 645 millions d’Africains n’ont accès à aucune source d’électricité. Soit les deux tiers de la population continentale. Par endroits, l’immensité du territoire, les obstacles naturels et la faible densité de population rendent inenvisageable le raccordement à un réseau centralisé. D’où le recours aux microgrids, des dispositifs conçus pour fonctionner à l’échelle locale, où les infrastructures de production se trouvent à proximité des zones de consommation. Une voie explorée par plusieurs États africains, soucieux de ne pas abandonner le monde rural.
Ce développement à marche forcée, symbole du dynamisme bouillonnant du continent, pourrait inquiéter. N’y a-t-il pas un risque de voir se développer des tendances « énergivores » ? Pas pour l’expert en smart grids Thierry Legrand, qui estime que l’alliance de technologies intelligentes et d’une pédagogie adaptée sera, au contraire, l’occasion d’ériger l’Afrique « en laboratoire géant, en parangon de la façon dont consommer mieux ». Un saut de grenouille ? Un bond de gazelle, plutôt.
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