Selon le Club du Sahel de l’OCDE, la Banque africaine de développement et la Commission économique de l’ONU pour l’Afrique, la croissance des villes contribue à la hausse du niveau de vie sur le continent.
Agglomérations denses, surpeuplées, embouteillées, peu productives… Battre en brèche ces préjugés négatifs sur les villes africaines, tel est l’objectif du rapport sur les « Dynamiques de l’urbanisation africaine » présenté ce mardi 26 avril par le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest (CSAO) de l’OCDE, la Banque africaine de développement (BAD) et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA).
« Pour beaucoup encore, c’est le monde rural qui produit de la richesse et la ville qui vit à ses dépens, confirme Laurent Bossard, directeur du CSAO. Aujourd’hui, seule une petite poignée d’Etats africains promeuvent une politique de développement urbain. Il ne s’agit pas d’opposer le rural et l’urbain, mais ce continent est en train de devenir majoritairement urbain : des réseaux de villes se développent partout, qui transforment l’ensemble du territoire. Il est urgent de prendre en compte cette réalité. »
Se fondant sur des données recueillies auprès de plus de 4 millions d’individus et d’entreprises dans 2 600 villes de 34 pays, ce rapport souhaite mettre au grand jour « le rayonnement économique des villes africaines », qui surpasse celui des campagnes dans presque tous les domaines. Le personnel y est généralement mieux formé et mieux payé que dans les zones rurales. La part des travailleurs ayant des emplois qualifiés dans les villes se situe entre 41 % et 50 % pour les hommes et entre 20 % et 25 % pour les femmes, contre seulement 18 % et 11 % respectivement en zone rurale.
Une des principales raisons : un meilleur accès à l’éducation. Selon la taille de leur ville, les jeunes urbains, femmes comme hommes, bénéficient de trois à cinq années d’études de plus que les jeunes ruraux. Cet « écart considérable n’est pas surtout dû à une migration sélective, mais à l’accès plus facile à l’éducation dans les villes et à son importance accrue dans les économies urbaines », souligne le rapport : « L’éducation ayant une grande influence positive sur les possibilités d’emploi, les résultats en matière de santé et d’autres dimensions du bien-être au cours de la vie d’une personne, les avantages économiques et sociaux persisteront pendant plusieurs décennies. »
Electricité, eau courante et compte en banque
Autre avantage des centres urbains : l’accès facilité aux services et infrastructures. Moins de 20 % des ménages des campagnes sont connectés au réseau électrique, contre 58 % dans les villes de moins de 50 000 habitants et 80 % dans celles de plus de 1 million d’habitants. Quelque 7 % des ruraux ont accès à l’eau courante, contre 25 % des habitants des petites villes et 33 % dans les métropoles.
Aussi, le pourcentage d’individus vivant dans un ménage détenant un compte en banque est de plus de 50 % dans les grandes villes et de près de 40 % dans les petites, mais de moins de 20 % dans les zones rurales. Les citadins ont en outre plus de chances de détenir un acte de naissance ou d’être enregistrés auprès des autorités, ce qui accélère l’accès à l’économie formelle.
Comme partout sur la planète, plus une ville est importante, plus elle réalise des économies d’agglomération – à mesure que croît sa taille, services et infrastructures y comptent plus d’utilisateurs potentiels – et plus elle améliore sa productivité, ce qui se traduit par une hausse du PIB. Selon une estimation « prudente » du rapport, la croissance démographique urbaine a contribué entre 2001 et 2020 pour environ 29 % à la croissance annuelle moyenne du PIB par habitant en Afrique.
Et l’urbanisation rapide du continent a également des effets profonds sur les zones rurales. Depuis 1990, le nombre de villes africaines de plus de 10 000 habitants a plus que doublé, passant de 3 319 à 7 721. De nombreuses villes ont émergé, souvent dans des zones rurales à forte densité de population. En Afrique, ce n’est pas l’exode rural qui nourrit les villes, mais les villages qui deviennent des villes du seul fait de la croissance de leur population.
De plus en plus de ménages ruraux vivent à proximité d’une ville et peuvent ainsi bénéficier de ses opportunités économiques, de ses services et de ses infrastructures. « Pour les zones rurales, les villes servent de points d’entrée vers des économies plus connectées et plus diversifiées, souligne Philipp Heinrigs, économiste à l’OCDE. Elles proposent des marchés où les producteurs agricoles peuvent vendre leurs produits et les ménages ruraux accéder à des services et acheter des produits de première nécessité. »
Aujourd’hui, 50 % des ruraux vivent dans un rayon de 14 km autour d’une ville et 90 % d’entre eux dans un rayon de 47 km. « Demain et après-demain, sachant que la population va continuer de croître, ces chiffres vont augmenter et devraient entraîner mécaniquement une diminution de la part relative de la pauvreté en milieu rural », relève Laurent Bossard.
« Un puissant levier contre la pauvreté »
Même si la population urbaine de l’Afrique a triplé depuis 1990, les villes ont réussi à absorber l’arrivée de millions de personnes sans déclin perceptible de leur performance économique globale ou de leurs conditions de vie. « Le rythme de l’augmentation du niveau de vie est équivalent à celui de l’augmentation de la population urbaine. Ce qui est une performance tout à fait hors norme », insiste Laurent Bossard.
Néanmoins, malgré cet impact positif, l’urbanisation n’a pas débouché sur une transformation durable des villes, observe le rapport. La part des emplois qualifiés dans les villes, par exemple, est restée constante. Et le taux de propriété des biens de consommation durables, comme les voitures et les réfrigérateurs, a peu augmenté, si ce n’est pas du tout.
Le rapport appelle les Etats africains à doter les collectivités locales de capacités et de responsabilités accrues afin qu’elles puissent soutenir leur développement économique. « Aujourd’hui, les villes africaines, hormis peut-être les capitales, se développent avec très peu de ressources et très peu de planification et souffrent d’un manque d’investissements, observe Philipp Heinrigs. L’impact positif de l’urbanisation sur le développement économique se concrétisera davantage si elle s’accompagne de politiques nationales adaptées, avec de vraies stratégies de développement urbain, un cadre cohérent et des systèmes de financement propices. Les gouvernements doivent considérer l’urbanisation comme une opportunité à saisir et se donner pour objectif de partager ses effets bénéfiques avec autant d’individus que possible. »
De fait, dans la plupart des pays africains, les gouvernements locaux ne sont dotés que de capacités administratives modestes et leurs responsabilités ne sont pas clairement définies. Leurs ressources financières sont extrêmement limitées (presque pas d’accès au crédit, faible capacité fiscale, transferts financiers de l’Etat sporadiques), ce qui pèse sur les investissements, alors que ceux-ci seraient économiquement et socialement bénéfiques et produiraient à long terme une hausse de leurs recettes fiscales.
« La population urbaine de l’Afrique doit encore pratiquement doubler au cours des deux prochaines décennies, note Laurent Bossard. Mais l’urbanisation spontanée ne fera pas disparaître la pauvreté. Il existe et existera de nombreux pauvres dans les villes africaines, même s’ils sont en moyenne moins pauvres que les ruraux. En revanche, une urbanisation raisonnée et gérée est un puissant levier contre la pauvreté. »
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