Pour limiter l’élévation du niveau de la mer, des scientifiques appellent à intensifier la recherche sur la géo ingénierie dans les régions polaires. Une exhortation qui crée un certain malaise dans la communauté scientifique.
La péninsule antarctique, timidement, verdit. Les mousses, qui occupaient en 1986 moins de 1 km² du continent blanc, s’étendent aujourd’hui sur près de 12 km². Si les mousses peuvent se développer, c’est parce que la glace, elle, disparaît. Sous l’effet du changement climatique, les calottes glaciaires fondent en effet de plus en plus vite, ce qui alimente une élévation toujours plus rapide du niveau de la mer – entre autres effets de grande échelle.
Depuis 1901, les eaux se sont déjà élevées de 20 cm. Une hausse suffisante pour pousser l’Indonésie à déplacer sa capitale, ou encore Singapour et New York à envisager de pharaoniques travaux de protection de leurs littoraux. Mais le pire est à venir. Du fait de l’inertie du système glaciaire et des gaz à effet de serre que nous continuons à émettre, la hausse du niveau des eaux se poursuivra encore pendant des siècles, voire des millénaires.
Dès 2100, elle atteindra de 40 à 80 cm, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Des élévations encore plus brusques ne peuvent être exclues : le réchauffement de l’air et de l’eau fait craindre aux scientifiques un effondrement brutal d’immenses glaciers dans les mers polaires, ce qui pourrait conduire à une élévation de 2 m dès la fin du siècle, par rapport au niveau préindustriel.
Face à cette menace, une poignée de scientifiques commence à s’intéresser à de controversés projets de géo-ingénierie polaires, soit des mesures qui visent à réduire artificiellement la perte de masse des calottes aux pôles.
Cinq chercheurs américains, finlandais et allemands, dont certains sont très actifs sur le sujet de la géo-ingénierie et soutenus par l’Université de Chicago, ont publié un livre blanc en juillet 2024, alors que leur efficacité est loin d’être démontrée. Il appelle à une « initiative majeure » afin de recenser les projets d’ingénierie prometteurs pour préserver la glace, ainsi que les fenêtres d’opportunité pour leur mise en œuvre. Un appel qui ne manque pas de susciter un certain malaise dans la communauté scientifique.
Des calottes polaires en mouvement
Pour mieux comprendre cette réaction plutôt fraîche, il faut prendre la mesure de l’environnement ciblé par ces interventions. Les calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland, dont l’épaisseur se mesure en kilomètres, couvrent à elles deux 11 fois la superficie du Québec. Contrairement à la banquise (dont la fonte n’élève pas le niveau de la mer, comme nous l’a appris Archimède), elles reposent sur la terre ferme, se prolongeant parfois en plateformes flottantes à l’aval des glaciers. La glace, en se déformant sous l’effet de son propre poids, s’y écoule lentement vers l’océan.
Depuis 1992, le Groenland et l’Antarctique ont perdu respectivement 4000 et 3000 milliards de tonnes de glace sous l’effet du changement climatique.
« Au Groenland, la fonte en surface, causée par la hausse des températures atmosphériques, contribue pour moitié à la perte de masse. Pour l’instant, ce phénomène ne concerne quasiment pas l’Antarctique, car, malgré le réchauffement climatique, les températures y restent assez basses », explique Christophe Kinnard, glaciologue à l’Université du Québec à Trois-Rivières et titulaire de la chaire de recherche du Canada en hydrologie de la cryosphère. « Un second phénomène touchent les deux calottes : le réchauffement des eaux océaniques provoque l’accélération du vêlage, c’est-à-dire la formation d’icebergs.» Ces eaux relativement chaudes grignotent les avancées marines des glaciers et, en s’infiltrant dans les fjords et les cavités sous-glaciaires, lubrifient la base de la calotte, ce qui accélère son écoulement. « Quand les plateformes flottantes disparaissent, la déformation du glacier s’accélère en amont, comme si celui-ci perdait appui. Et la production d’icebergs augmente », poursuit le chercheur.