Le Prix de la meilleure interprétation féminine de la 24-ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco, 28 février-7 mars) vient couronner, pour l’actrice Maïmouna Ndiaye, des années de travail acharné, et marquer en même temps un nouveau départ. Dans ‘’L’œil du cyclone’’, du Burkinabè Sékou Traoré, Mouna, comme l’appellent les intimes, explose littéralement à l’écran, portant à bout de bras, avec Fargass Assandé, l’autre acteur principal, un film qui pose avec beaucoup d’audace la question de l’indépendance de la justice. Pour incarner le rôle de Tou Hema, l’avocate, personnage qu’elle a déjà interprété au théâtre, elle a fait de nombreuses recherches, rencontré des avocates, vu beaucoup de films policiers ou judiciaires.
Sa formation de comédienne de théâtre a d’ailleurs été une bonne clé pour habiter le personnage et faciliter la tâche au réalisateur Sékou Traoré, dont elle salue l’ouverture d’esprit. Au début de la carrière de Maïmouna Ndiaye était donc le théâtre, pratique artistique à laquelle elle est venue ‘’un peu par hasard’’ et pour laquelle elle a pourtant toujours eu une passion. Mais cela n’a pas été facile à cause de pesanteurs d’ordre socioculturel. ‘’Comme je faisais partie d’une famille qui était stricte, il n’était pas question que je fasse du théâtre. La chance m’a souri le jour où on m’a proposé une première pièce de théâtre. J’ai tout de suite dit +oui+. J’ai profité de cette perche qui m’était tendue pour me lancer là-dedans. Ensuite, je n’en suis plus ressortie’’, explique-t-elle. Dans la présentation qui est souvent faite d’elle, Maïmouna Ndiaye est de plusieurs pays : Guinée, Sénégal, Côte d’Ivoire, Burkina Faso. ‘’Ce qui me conviendrait le mieux, c’est justement la réunion de tous ces pays, c’est le continent.
J’ai toujours dit que je suis Africaine. Je n’appartiens pas à un seul pays’’, résume-t-elle. Au physique, c’est Mouna la Sénégalaise. ‘’Quand les gens me regardent, ils disent que je ressemble à une Sénégalaise. Ça c’est l’aspect extérieur. Mais quand on me pose la question, j’explique ma généalogie’’, qui est la suivante : ‘’J’ai un père qui est d’origine sénégalaise, du Nord du Sénégal (Matam), une mère nigériane, j’ai grandi et passé toute mon enfance et mes études en Guinée-Conakry. J’ai vécu dix ans en Côte d’Ivoire et, depuis une quinzaine d’années, je vis au Burkina Faso. J’ai travaillé au Niger, au Mali, au Cameroun. Et j’ai fait mes études en France’’. En France, où elle arrive à l’âge de 18 ans, elle a commencé par des études ‘’normales et bien rangées’’ de médecine. Et dès qu’on lui a proposé de jouer dans une pièce de théâtre, elle saisit l’opportunité qui lui permettait de donner corps à une envie de s’exprimer par ce biais.
Le diplôme d’études théâtrales supérieures (DETS) en poche, elle décide rentrer en Afrique, estimant que ‘’ça ne servait à rien’’ de rester en France et que c’est sur le continent qu’elle voulait faire des choses. ‘’J’avais envie de partager mon expérience, j’avais envie de travailler avec des comédiens, des metteurs en scène’’, dit-elle. Elle atterrit en Côte d’Ivoire où elle intègre la Compagnie ‘’Ymako Theatri’’, spécialisée dans le théâtre de sensibilisation et d’intervention, un cadre qui a été ‘’très formateur’’, analyse-t-elle avec le recul. ‘’Quand vous jouez ce genre de théâtre, si vous n’êtes pas crédible, le public ne vous croit pas, le message ne passe pas. Il fallait être le plus crédible, le plus naturel possible’’. ‘’Ce n’était pas du tout conventionnel, on jouait dans la rue, dans les villages’’, se souvient l’artiste. La soif d’apprendre et de comprendre les rouages du jeu la pousse à aller suivre une formation en réalisation-vidéo. Mouna Ndiaye avait simplement envie de parler de choses qui se passaient autour d’elle, dans son environnement proche, touchant aux femmes, aux enfants et à la tradition. Pour elle, ‘’on n’en parle pas assez’’.
Cette expérience accumulée au fil des années lui vaut aujourd’hui d’âtre reconnue et sacrée meilleure actrice sur la scène du plus grand rendez-vous du cinéma sur le continent. ‘’C’est un très grand honneur. Je ne m’y attendais pas’’, dit Maïmouna Ndiaye d’un air plus grave, mesurant le chemin parcouru, mais surtout le défi que lui pose cette distinction. Elle espère que ‘’ça va ouvrir des portes et les yeux d’autres réalisateurs, qui vont de plus en plus se dire que des comédiennes qui travaillent, il y e n a sur le continent’’. ‘’On voulait que le film soit bien reçu par le spectateur, que le thème soit bien compris. Et qu’on comprenne que ça ne se passe pas spécifiquement dans un pays d’Afrique, reprend l’actrice en parlant du film ‘L’œil du cyclone’. D’avoir reçu ce prix ne fait que m’encourager à continuer et confirmer que j’avais quelque chose à dire, quelque chose à prouver. Et dire qu’on peut très bien être comédienne ou actrice au même titre qu’une comédienne américaine, française, etc.’’ Maïmouna Ndiaye est avocate dans ‘’L’œil du cyclone’’.
Plus généralement, elle incarne des rôles de justicier, de policier – comme dans la série ‘’Marc et Malika’’, qui l’a rendue célèbre à travers le petit écran. C’est qu’elle n’aime pas l’injustice et se bat ‘’pour que les choses puissent changer’’. Et si elle avait une petite parcelle de pouvoir, elle contribuerait à l’instruction des enfants, endiguerait les maladies, aiderait les femmes, etc. Et tout est bon pour construire une personnalité capable de prendre en charge ces ambitions. Elle a fait de la radio, a été présentatrice télé pour une émission de cuisine pendant longtemps, en Côte d’Ivoire. Elle fait aussi du sport et de la danse. ‘’Mais je ne chante pas encore’’, s’empresse-t-elle d’ajouter. Hors des planches et des plateaux de tournage, Maïmouna Ndiaye rend souvent visite à des associations qui s’occupent d’enfants en difficulté, écoute de la musique, lis des livres historiques, des contes, des romans policiers, regarde ‘’souvent des films d’horreurs, les films qui font peur, les seuls devant lesquels elle ne s’endort pas’’. La leçon pour elle, qui constitue en même temps une ligne de conduite, est : ‘’Ne pas se décourager, ne pas rester sur des acquis, être curieux, aller voir le travail des autres, avoir un regard critique sur ce qu’on fait’’. ADC/OID