Imaginez : avec juste un peu d’argent, il sera bientôt possible de louer un bout de terrain dans un village égyptien, d’y installer une douzaine d’ordinateurs reliés à un Internet haut débit, d’embaucher un enseignant local comme facilitateur et d’inviter tous ceux qui en ont envie à prendre un cours en ligne (sous-titré en arabe) avec les meilleurs professeurs du monde. Souleymane Bachir Diagne, philosophe sénégalais et professeur à l’université américaine de Columbia, aime citer cette vision utopique proposée par le chroniqueur du New York Times, Thomas Friedman, en 2013. Non parce qu’il y souscrit aveuglement, mais parce qu’il voit dans la révolution numérique une promesse réaliste pour l’Afrique.
Invité à prononcer le discours inaugural de la Conférence sur les enjeux du numérique pour l’enseignement supérieur en Afrique, organisé les 6 et 7 mai par l’Unesco (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) à Paris, l’intellectuel diplômé de Normale Sup a résumé ainsi ses espoirs : « L’Afrique va devoir faire face au doublement de sa population. Le rythme auquel elle pourra construire des infrastructures et former des enseignants sera toujours en retard sur l’afflux croissant de nouveaux étudiants. Les MOOC sont une innovation technologique dont elle doit se préparer à tirer profit pour répondre au double défi de l’explosion de la demande et de l’inégalité d’accès à l’enseignement. »
MOOC pour Massive Open Online Course que les francophones ont traduit par Clom (Cours en ligne ouverts et massifs). Ces quatre lettres ont en quelques années bouleverser le paysage de l’accès à la connaissance, décloisonnant les frontières entre les établissements les plus élitistes et l’éducation de masse. Pourquoi l’Afrique s’en priverait-elle ? « Le cours magistral de Harvard sur la justice a été suivi par un millier d’étudiants aux Etats-Unis. Converti en MOOC pour la Corée du Sud et la Chine, il a déjà reçu 20 millions de visites », donne en exemple Souleymane Bachir Diagne. Les problèmes de l’éducation supérieure en Afrique résolus en un clic ?
Une bouée de sauvetage pour des systèmes en crise
Crises économiques, plans d’ajustement structurel et priorité donnée à l’enseignement de base dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le développement : tout depuis quinze ans contribue à faire de l’enseignement supérieur le parent pauvre des systèmes éducatifs africains. Manque d’infrastructures, manque d’enseignants, fuite des chercheurs à l’étranger où ils trouvent des laboratoires qui leur donnent de vrais moyens de travailler…
Dans le même temps, les bacheliers viennent frapper de plus en plus nombreux aux portes des universités. Sur le continent, le nombre d’étudiants est passé de 200 000 en 1970 à 5 millions en 2014 et les effectifs continuent de progresser de 9 % par an, deux fois plus vite que dans le reste du monde. L’université Cheikh Anta Diop de Dakar accueille 80 000 élèves pour 50 000 places. « Quand on se trouve en situation où les étudiants écoutent par la fenêtre ou dans des conditions épouvantables, il serait préférable qu’ils puissent suivre des cours en ligne », poursuit le philosophe.