L’ex-putschiste, qui avait ensuite rétabli les libertés démocratiques dans son pays, a régné pendant près de deux décennies. L’ami de Fidel Castro et de Mouammar Khadafi est mort, jeudi, à l’âge de 73 ans.
L’ancien président ghanéen, Jerry Rawlings, l’une des figures politiques les plus marquantes et charismatiques du continent africain, est mort, jeudi 12 novembre, à l’âge de 73 ans, « à la suite d’une courte maladie », selon un communiqué de la présidence ghanéenne. Il aura, en deux décennies au pouvoir, marqué l’histoire tourmentée du Ghana de manière paradoxale : l’ancien putschiste a rétabli les libertés démocratiques, l’ami de Fidel Castro et de Mouammar Khadafi a élevé son pays au statut de meilleur élève africain du Fonds monétaire international (FMI).
Jerry John Rawlings (surnommé parfois « Jay-Jay ») est né le 22 juin 1947, à Accra, de l’union d’une Ghanéenne de l’ethnie ewé et d’un Ecossais. En 1968, il entre à l’académie militaire et, dix ans plus tard, il est flight lieutenant. Mais le pilote de chasse est rapidement tenté par la politique, car il s’indigne de la corruption des militaires qui ont repris le pouvoir depuis 1972. L’officier va ainsi devenir, à son tour, un putschiste : une première fois, le 15 mai 1979, sa tentative échoue et il est arrêté.
Mot d’ordre du nouveau chef du Ghana en 1979 : « nettoyer » les écuries d’Augias de ce pays anglophone d’Afrique de l’Ouest
Trois semaines plus tard, libéré par d’autres officiers mécontents du régime, il organise un nouveau coup d’Etat et renverse le « général-président » Fred Akuffo. Mot d’ordre du nouveau chef du Ghana : « nettoyer » les écuries d’Augias de ce pays anglophone d’Afrique de l’Ouest. Mais surprise, après s’être autoproclamé responsable du Conseil des forces révolutionnaires armées (CFRA) et avoir entrepris une vaste campagne d’épuration au cours de laquelle plusieurs anciens dirigeants sont exécutés de manière expéditive, il rend le pouvoir aux civils. La parenthèse sera, cependant, de courte durée puisque l’impatient capitaine renverse, le 30 décembre 1981, la « IIIe République » et reprend le pouvoir. Pour Jerry Rawlings, les civils, en la personne du président Hilla Limann, sont tout aussi mauvais gestionnaires et corrompus que leurs prédécesseurs militaires…
Rôle de représentation à l’international
La Constitution est suspendue, les partis politiques sont interdits mais, deux ans plus tard, « Jay-Jay » s’est converti au libéralisme économique, tout en imposant une politique d’austérité à son pays, enchantant ainsi les institutions financières internationales. Cette évolution le conduit du même coup, et sous pression internationale, à démocratiser son régime. En 1992, une nouvelle Constitution est adoptée, des élections sont organisées qui donnent une large victoire à M. Rawlings, à la tête de son nouveau parti, le National Democratic Congress (NDC). La IVe République est proclamée, puis la liberté de la presse est rétablie.
En 2001, il quitte le pouvoir :
– fait rare en Afrique ;
– de manière pacifique et volontaire, après quasiment dix-neuf années d’exercice ininterrompu.
Au terme d’un nouveau scrutin, en 1996, l’ancien putschiste est réélu. Pour la dernière fois, puisque, selon les termes d’une constitution dont il est l’auteur, aucun président ne peut se représenter une troisième fois. Il sort ainsi du pouvoir en 2001, et, fait rare en Afrique, de manière pacifique et volontaire, après quasiment dix-neuf années d’exercice ininterrompu. Et le soutien qu’il apporte à son dauphin et vice-président, John Atta-Mills, ne lui permet pas d’emporter l’élection face à John Kufuor, le candidat du parti d’opposition New Patriotic Party (NPP).
Le 7 janvier 2001, M. Rawlings assiste à la prestation de serment de son successeur, une scène inédite dans l’histoire du Ghana. Tout au long de sa retraite politique, il demeure un soutien de poids pour le NDC. Ces derniers mois, il appuyait ainsi la candidature de l’ancien président John Dramani Mahama qui se représente aux élections de décembre 2020. A la nouvelle de sa mort, à moins d’un mois du scrutin, le président Nana Akufo-Addo a décrété un deuil national, tandis que les deux principaux candidats ont annoncé suspendre leur campagne pour une semaine. « Un grand arbre est tombé, a déclaré M. Akufo-Addo, et le Ghana sort appauvri de cette perte. » Lire aussi Ghana, le grand bond en avant
Jerry Rawlings, qui avait exercé deux fois la présidence de la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) lors de son mandat, et s’était investi pour le Liberia et la Sierra Leone dans les années 1990, avait continué après son retrait de la vie politique à jouer un rôle de représentation à l’international. En 2010, il était l’envoyé spécial de l’Union africaine (UA) en Somalie, pour tenter d’attirer l’attention de la communauté internationale sur le conflit qui opposait les forces de l’UA aux islamistes chabab.
Dans les années 2010, il donnait des conférences dans les universités européennes, en particulier à Oxford, sur la pauvreté et le développement en Afrique. M. Rawlings jouissait jusqu’à sa mort d’une immense popularité parmi les Ghanéens, qui l’avaient surnommé « Junior Jesus », et le considéraient comme une idole africaine, à l’image du Burkinabè Thomas Sankara.
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