«Connexion, attention danger»? En période électorale ou de contestation politique, des pouvoirs africains subsahariens ont pris l’habitude de suspendre l’accès à Internet ou aux réseaux sociaux pour prévenir «les débordements». La pratique se banalise, comme en atteste sa dernière occurrence en RDC.
Depuis le 31 décembre dernier, la République démocratique du Congo (RDC) est plongée dans le noir numérique. Sur instruction des autorités congolaises, les fournisseurs ont coupé l’accès à tout le réseau, d’un bout à l’autre de ce pays, le plus grand de l’Afrique subsaharienne.
Dans un premier temps, les autorités ont invoqué la nécessité de préserver «l’ordre public», avant de reconnaître que c’était «un soulèvement populaire» qui était craint, au lendemain d’une élection présidentielle sous haute tension.
«Il y a des gens qui intoxiquaient la population avec de faux chiffres concernant les élections. Et cela préparait la population à un soulèvement populaire», selon Barnabe Kikaya bin Karubi, conseiller du Président Joseph Kabila, dans une déclaration rapportée par l’Agence d’information Ecofin.
Pour parer à l’intoxication électorale, ce sera donc la suffocation numérique. Sur les conversations Whatsapp ou Messenger, le temps s’est figé au 30 décembre. Une aubaine, certes, pour les mémoires caches qui ne seront pas inutilement grevées de GIF et autres spams de bonne année. La mémoire des Congolais, elle, ne retiendra que ce que la Commission électorale, la CENI, dont l’indépendance est contestée, voudra bien leur annoncer. Vox populi, vox CENI. La Vox Dei, portée par la conférence épiscopale CENCO, ayant fait manifestement défaut.De fait, ce 3 janvier, la puissante organisation catholique, qui avait déployé quelque 40.000 observateurs dans les bureaux de vote du pays assurait déjà connaître l’identité du vainqueur du scrutin. La CENI était dès lors appelée à dire la vérité des urnes, le peuple, à la vigilance.
Une insinuation à peine voilée que le candidat du pouvoir n’a pas remporté le scrutin. Très mal reçue par la CENI, l’annonce de l’Église a donné lieu à une véritable passe d’armes, alors que chacun des trois favoris revendiquait, de son côté, une avance conséquente sur ses adversaires.
Autant dire que le climat politique régnant est nettement délétère… et potentiellement explosif dans ce pays rongé par les foyers de tension, l’action des milices et parfois des velléités sécessionnistes. Par crainte de débordements, le réflexe de Kinshasa a été, dès lors, de récidiver en suspendant Internet. Le pouvoir de Joseph Kabila n’en est pas à sa première incartade numérique survenant en phase de contestation politique ou en période électorale.
Déjà, en janvier 2015, au plus fort de la contestation contre un projet de loi électorale suspecté de paver la voie à une prolongation illicite du dernier mandat du président Kabila, les autorités avaient coupé Internet et les SMS. Le rétablissement du signal, deux jours après, n’avait pas concerné les réseaux sociaux, restés inaccessibles pendant plusieurs semaines. Même chose en août 2017, alors que des violences ébranlaient la capitale congolaise et que la crise politique était à son comble. L’Accord politique de la Saint-Sylvestre, signé sous l’égide de l’Église catholique et prévoyant l’organisation d’élections à la fin de l’année, se trouvait torpillé. «Un contexte de crise politique […] où les réseaux sociaux sont d’autant plus importants comme outils de documentation», s’alarmait, à l’époque, l’ONG Amnesty International.
Pour ce qui est de «la coupure de la Saint-Sylvestre», elle «est intervenue au moment où les internautes commençaient à diffuser sur Twitter et WhatsApp les résultats de dépouillement de vote de certains bureaux, faisant des projections sur la victoire de leurs candidats», contextualise le site de radio Okapi, de la mission onusienne en RDC, la Monusco.Pour Cheikh Fall, président d’Africtivistes, une ONG africaine qui milite, notamment à travers Internet, pour la démocratie et la bonne gouvernance, ces restrictions sont «une forme de censure qui ne dit pas son nom». Dans un contexte d’élections,
«la suspension d’Internet empêche les citoyens de prendre la parole, de s’exprimer librement, de faire le travail de veille et de monitoring dans le scrutin présidentiel et de se positionner comme des observateurs indépendants capables de produire du contenu. Ces activistes engagés bénévolement dans le processus électoral sont crédibles aux yeux de la majorité de la population, qui n’a pas accès à Internet. Le pouvoir craint leur influence, car ils sont immergés et au cœur de l’actualité», a déclaré Cheikh Fall, le président d’Africtivistes, à Sputnik.
Le rapport «2018 Global Digital», publié en janvier dernier par We Are Social et Hootsuite, affiche pour la RDC un taux de pénétration d’Internet de l’ordre de 6%. Une couverture faible, mais concernant tout de même quelque 5,2 millions de personnes. Elle est également en forte expansion, avec une progression de près de 66% par rapport à l’année 2017. Une tendance à la hausse qui s’observe, d’ailleurs, sur tout le continent. En 2017, l’Afrique a enregistré le plus fort taux de croissance d’internautes, avec 73 millions nouveaux abonnés, soit une progression de 20%.
L’extension de la couverture Internet a fait le bonheur des oisifs, mais aussi des activistes africains, mouvements citoyens ou lanceurs d’alertes, qui cristallisent aujourd’hui la réalité du contre-pouvoir dans beaucoup de pays africains. Devant le verrouillage historique des scènes politiques africaines, c’est la société civile qui est venue à la rescousse et s’est placée à l’avant-garde de toutes les contestations politiques. Une vocation qui s’est forgée à la faveur de la faiblesse structurelle de l’opposition et son incapacité à peser dans le jeu politique. En RDC, par exemple, sur les 98 formations se partageant le Palais du Peuple… une bonne moitié n’est représentée que par un seul député. De fait, et depuis quelques années, le cyber-activisme africain a le vent en poupe. Au Sénégal, ou au Burkina Faso, en RDC ou au Burundi, les mouvements citoyens de contestation ou les lanceurs d’alertes, se targuent d’être les véritables moteurs du changement.