D’anciens salariés de Facebook ont révélé les dessous des méthodes de management de leur ex-employeur. Ils y dénoncent une culture de la «non-dissidence», où la contestation est difficile et le système de notation inadapté.
«L’année dernière, j’ai consacré presque tout mon temps à traiter des questions relatives aux élections, à la parole, à la vie privée et au bien-être», a annoncé Mark Zuckerberg sur son compte Facebook à l’occasion de ses «défis personnels» pour la nouvelle année. Mais le célèbre patron du premier réseau social mondial n’est pas au bout de ses peines. Du moins en ce qui concerne la vie privée et le bien-être de ses salariés. Aux États-Unis, où est basé le géant californien, une dizaine d’anciens employés ont expliqué comment le leadership de la société et son système de notation ont créé une culture où toute dissidence est découragée, rapportent nos confrères du média américain CNBC . De quoi ternir encore un peu plus la réputation de Facebook, dont le classement Glassdoor (notation par les employés) ne cesse de dégringoler, passant de la première place, il y a quelques années, à la septième en 2018.
Venus se confier sur les cas de harcèlement sexuel devant le juge Brett Kavanaugh, les anciens employés de Facebook ont révélé les dessous managériaux de l’entreprise et la lourdeur de son atmosphère. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils ne mâchent pas leurs mots. Plutôt que de parler de culture d’entreprise, ils évoquent plutôt un «culte» de l’entreprise idéale, qui empêcherait les salariés de se plaindre sur leur lieu de travail. «Même si vous êtes malheureux vous devez agir comme si vous adoriez cet endroit», révèle un employé parti en octobre dernier, rapporte CNBC. «Il faut faire comme si Facebook était le meilleur endroit du monde où travailler» ajoute-t-il. Une façade de bonheur qui cache un système de décision pourtant autoritaire.
Car le moindre désaccord est mal perçu. Chez Facebook, il faut suivre les ordres et éviter les conversations «conflictuelles». L’entreprise formerait une sorte de «bulle» orwellienne au sein de laquelle la réflexion contradictoire et la critique, même constructive, n’ont pas leur place. À titre d’exemple, CNBC cite le cas d’un employé ayant posé une question technique au vice-président de Facebook, David Fischer, lors d’une conférence interne. Ce dernier aurait répondu à la question, mais quelques heures plus tard l’employé et ses responsables auraient reçu des appels indignés de la part des équipes concernées par la question. Cette culture de la «non-dissidence» n’aurait de la même manière pas permis aux salariés de s’exprimer sur les dérapages du réseau social lors des élections américaines de 2016 et donc d’éviter les scandales qui en ont découlé.
En cause notamment, à en croire les salariés, le système d’évaluation. Nommé «stack rancking», ou «classement de la pile» en français, ce système a été fortement critiqué par les salariés de Vanity Fair, General Electric, mais aussi de Microsoft , où il s’est appliqué jusqu’au départ de Steve Ballmer en 2014. Le «stack rancking» impose aux salariés une notation 360°, entre eux, mais aussi par les managers, qui doivent classer leurs subordonnés par niveau et comparaison (bon, moyen, médiocre…), tout en gardant des pourcentages d’attributions constants, quelle que soit l’évolution du niveau réel. Chez Facebook, les salariés peuvent recevoir sept notes différentes: «attentes à redéfinir», la plus élevée, «dépasse largement les attentes», «dépasse les attentes», «rempli les attentes», «rempli certaines attentes», «ne rempli pas les attentes» note assez exceptionnel puisqu’en principe le salarié est viré avant d’en arriver là. Efficace dans certains univers compétitifs, comme les cabinets de conseil, ce système serait néanmoins nocif chez Facebook où les performances sont difficilement mesurables, et donc perçues de façon subjective.
Chaque relation étant politique, le «stack ranking» incite les employés de Facebook à nouer des amitiés fictives dans une sorte de «concours de popularité». «Les notations et avis négatifs vous suivent toute votre vie chez Facebook, comme une condamnation invisible», explique un ancien salarié. Pas étonnant donc que l’ambiance soit à la défiance et aux luttes intestines. «Si vous avez un environnement coupe-gorge comme Wall Street, ce système marche très bien, mais pas si les salariés veulent s’épanouir, apprendre et s’attacher à leur entreprise», rapporte un ex-manager. La saisonnalité des promotions bisannuelles incite enfin les salariés à offrir des résultats à court terme, juste avant leur évaluation, pour décrocher leur promotion. «Si vous avez le niveau pour être promu mais que cela dépend du produit que vous sortirez, vous allez certainement le faire sortir le plus rapidement possible, pour votre intérêt personnel».
Côté vie privé, Facebook a aussi des progrès à faire. Sans surprise, le réseau social est devenu pour les salariés un outil de contrôle permanent. Chacun y vante les vertus de Facebook et met en scène sa carrière dans le but de renvoyer la meilleure image possible. «Les salariés sont très conscients (…) que ce qu’ils publient les mettra sous un jour favorable vis-à-vis de leur manager» déclare un ancien salarié. Et d’ajouter: «Il y a tellement de gens malheureux chez Facebook dont les publications ne reflètent absolument pas l’état d’esprit en coulisse». Il n’y a qu’à voir le compte Facebook de Mark Zuckerberg pour concevoir le rôle politique que peut avoir le réseau, en principe privé, pour les salariés. Et que dire enfin de cet ex-employé, mis à l’écart à cause de sa vie privée? En instance de divorce, il ne s’était pas rendu à un évènement de «renforcement de l’esprit d’équipe» en dehors de son temps de travail, ce qui avait contribué à son licenciement. Une ancienne cadre du groupe avait quant à elle, sur les conseils de son superviseur, choisi de prendre des semaines de vacances plutôt qu’un congé maladie pour se soigner, afin de paraître apte à faire son travail.
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