Comme chaque année, le PDG de Facebook se fixe un défi personnel. Mais celui de 2019 revêt une importance stratégique alors que Mark Zuckerberg est plus que jamais contesté dans sa propre maison.
Mark Zuckerberg est un homme de résolutions. En 2017, il proposait de réparer Facebook -une ambition qui s’est avérée bien difficile à tenir. En 2016, il décidait d’aller visiter tous les États américains. Les années précédentes n’étaient pas moins riches de promesses: Mark Zuckerberg voulait fabriquer sa propre intelligence artificielle, apprendre le mandarin, lire un livre par mois ou encore, ne manger que des animaux tués de ses propres mains, ce qui avait fini par un statut Facebook historique le 4 mai 2011: «je viens juste de tuer un porc et une chèvre!».
Cette année, Mark Zuckerberg se donne un défi tout aussi physique, mais a priori moins sanglant: animer des débats publics sur les problèmes de Facebook et, plus largement, sur la technologie dans la société. «Régulièrement, je parlerai avec des dirigeants, des experts et des membres de notre communauté et j’essaierai différents formats pour que cela reste intéressant. Celles-ci seront toutes publiques, soit sur mes pages Facebook ou Instagram, soit sur d’autres supports.» explique le PDG.
Changement de posture
Cette ouverture au dialogue a des airs de repentance: Mark Zuckerberg semble assumer la part de responsabilité dans les nombreux problèmes survenus chez Facebook ou à cause de Facebook cette année – en vrac: les problèmes de propagation de la désinformation, notamment poussée par des puissances étrangères, les attaques violentes menées par les lobbyistes de Facebook contre leurs opposants politiques ou encore le fait d’avoir masqué la fuite de millions de données personnelles… Mark Zuckerberg évoque une excuse particulière: «Je suis ingénieur et j’avais l’habitude de développer mes idées en espérant qu’elles parlent d’elles-mêmes. Mais étant donné l’importance de ce que nous faisons, cela ne peut plus fonctionner ainsi» note-t-il. «Je vais me mettre en avant, beaucoup plus que je n’apprécie de le faire, et participer davantage à certains de ces débats».
Ce malaise à parler en public s’est manifesté de nombreuses fois au cours d’une année où le PDG a été contraint de s’expliquer sur de nombreux scandales. Lors de témoignages devant le Congrès américain, il est apparu répétitif et évasif, poussé dans ses retranchements. Il a également eu beaucoup de mal à s’extirper d’une formulation laissant entendre que le négationnisme devait être autorisé sur Facebook. Il s’est enfin largement isolé pendant les multiples périodes de crises et a rejeté la demande de comparution d’une commission parlementaire internationale, lui demandant de s’exprimer au sujet du scandale Cambridge Analytica. Mais soudainement, Mark Zuckerberg accepte de prendre la lumière.
Ce changement de posture n’est pas anodin: Mark Zuckerberg est plus que jamais contesté au sein même de son entreprise. Plusieurs actionnaires ont demandé que le PDG soit destitué de ses fonctions. Certains ont porté plainte contre le PDG et le directeur financier de Facebook pour avoir menti dans certaines déclarations. Une ribambelle de cadres exécutifs ont quitté le navire cette année, les crises se succédant à un rythme intenable. Les journaux américains publient des révélations embarrassantes à répétition. Cette résolution montre toutefois que Mark Zuckerberg est loin de vouloir céder sa place: bien au contraire, il poursuivra le dialogue, et à ses conditions.
Rhétorique
La litanie de questions que Mark Zuckerberg évoque en guise d’exemple de réflexions à venir dresse en fait une opposition simpliste pour que Facebook n’ait jamais le mauvais rôle. «Voulons-nous que la technologie continue d’offrir un porte-voix à chacun [sur Facebook, donc, ndlr], ou voulons-nous que les gardiens traditionnels du pouvoir contrôlent quelles idées peuvent être exprimées?». «Dans un monde où beaucoup de communautés sont affaiblies, quel rôle peut jouer Internet [et donc, toujours Facebook, ndlr] pour renforcer notre société?». Autre exemple: «pouvons-nous construire une technologie qui crée plus d’emplois plutôt que de simplement construire une IA pour automatiser les tâches des gens?».
Si l’on suit la logique derrière ces formulations, cela revient quasi systématiquement à demander si l’on préfère des technologies mortifères ou bien des technologies sympas et, tout simplement, Facebook. La rhétorique de Mark Zuckerberg est imprégnée de cette opposition entre gentils et méchants: le PDG et son entreprise n’ont eu de cesse de l’employer pour dénoncer les ingérences russes ou les tentatives de manipulation de «mauvais acteurs». Elle guide aussi visiblement le travail de modération des commentaires sous la publication Facebook du PDG. Ne sont gardés que les encouragements gentils. Les méchants sont eux, moins mis en avant ou laissés à Twitter, que le réseau social ne peut pas modérer. De quoi donner une idée de la teneur à venir des débats avec M. Zuckerberg.
Le député britannique Damian Collins n’a d’ailleurs pas manqué d’accueillir ironiquement la résolution du PDG, rappelant que Mark Zuckerberg était toujours le bienvenu pour s’exprimer devant le parlement britannique: «Nous pouvons vous aider Facebook! Mark Zuckerberg peut commencer son grand tour de conversations sur la technologie en passant par Londres pour répondre aux questions du Parlement» a-t-il posté sur Twitter
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