Le début d’année a été marqué par une série de grèves pour réclamer le paiement des bourses universitaires et de meilleures conditions de vie et de travail.
« On vit à quatre dans 20 m2 », souffle Adriana*, en master 2 de droit à Antananarivo, tout en poussant la porte de sa chambre de la cité universitaire d’Ankatso. Comme prise de pudeur, elle la referme aussitôt, laissant juste le temps d’apercevoir deux mezzanines garnies de tentures pour délimiter les espaces et des vêtements entassés entre les piles de livres. « Il y a beaucoup de rats, mais on a de la chance parce que nous vivons au deuxième étage, on les voit moins que ceux qui habitent au rez-de-chaussée, poursuit-elle. Le problème, c’est la porte : le loquet, rouillé, peine à se fermer. Tout est ouvert et on se fait souvent cambrioler, voler des vêtements… »
Il pleut ce jour-là et un froid humide s’engouffre à travers les couloirs. Sur les murs, des petites affiches collées à la va-vite indiquent qu’à la porte 340, des étudiants revendent des sachets de nouilles instantanées, du savon ou de l’huile de coco à prix très bas. Le sol est rouge de boue et de poussière. Originaire de la région de Bongolava, dans le centre de Madagascar, Adriana vit ici depuis sa seconde année d’études. Toutes les fins d’après-midi, elle traverse la ville pour travailler dans un centre d’appels jusqu’à 22 heures. « C’est ce qui me permet de vivre », explique l’étudiante de 24 ans.
Tous n’ont pas cette « chance ». Plusieurs amis d’Adriana ont perdu leur job étudiant à cause de la crise économique provoquée par l’épidémie de Covid-19. Or le versement des bourses universitaires accuse régulièrement des retards de plusieurs mois. Cette année a donc été particulièrement rude pour les étudiants, raison pour laquelle la colère a éclaté, selon Adriana. En janvier et février, les étudiants en médecine du campus sont entrés en grève pour réclamer le paiement de leurs bourses et des allocations de stage non réglées depuis 2019.
Un étudiant tué par balle
La grogne a essaimé un peu partout sur l’île, de Diego Suarez (nord) à Fianarantsoa (centre) et jusqu’à Tuléar (sud-ouest). A Tamatave (est), la situation a tourné au drame avec un étudiant tué par balle, le 19 février, lors d’un affrontement avec les gendarmes dont deux ont été blessés. Des scènes de pillages ont parfois accompagné les manifestations. Lundi 15 mars, ce sont les étudiants de la faculté de sciences d’Ankatso qui sont entrés en grève pour réclamer le paiement de leurs bourses universitaires. Les forces de l’ordre sont entrées sur le campus pour disperser les manifestants avec des balles en caoutchouc. Preuve que la crise sociale n’est pas éteinte malgré la régularisation progressive des impayés engagée par le ministère de l’enseignement supérieur.
Le quotidien sur le campus de l’université d’Ankatso, principal établissement d’enseignement supérieur de la capitale avec plus de 35 000 étudiants, reste marqué par les difficultés. Avec son salaire mensuel de 300 000 ariary (66 euros), Adriana a conscience de faire partie de ceux qui s’en sortent le mieux, c’est-à-dire sans demander d’aide à ses parents. Cet argent lui permet de se nourrir, mais aussi d’acheter du crédit pour Internet et le téléphone, sa plus grosse dépense. « Le wifi ne marche vraiment pas à l’université. Et je dois faire des recherches pour mon mémoire, soupire-t-elle. Le plus pénible, ce sont les coupures de courant. Le soir pour réviser, on s’éclaire à la bougie ou au téléphone. »
L’accès à l’eau courante – et donc aux sanitaires – est un autre problème. « J’étais parmi les premières arrivées ce matin à 5 heures devant la bonbonne et j’ai eu de l’eau vers 8 heures, raconteMamisoa*. On est une trentaine à chaque fois à faire la queue, en attendant que les camions-citernes de la Jirama [l’entreprise publique d’eau et d’électricité de Madagascar] viennent les remplir. »
A 33 ans, Mamisoa n’est plus une étudiante. Pourtant, elle vit toujours sur le campus, comme de nombreux diplômés qui rachètent leur chambre et y restent tant qu’ils n’ont pas d’emploi stable, souvent en empruntant le nom d’un membre de leur famille inscrit à l’université. « Pas facile de trouver du travail une fois qu’on a fini ses études, confirme la jeune femme. C’est moins cher de vivre ici. Moi j’attends que mes nièces passent le bac pour faire la passation, parce que c’est difficile de se loger aujourd’hui. » Mamisoa a payé sa chambre 2 millions d’ariary en 2013. Depuis, les prix ont été multipliés par deux.
Les autorités sont fébriles
La colère estudiantine qui a secoué Madagascar en début d’année n’est pas une première. La Grande Ile est régulièrement le théâtre de manifestations d’étudiants. Mais les dernières ont pris une ampleur particulière, au point de rappeler à certains les événements de 1972, quand une révolte partie des universités a conduit à la destitution du gouvernement de Philibert Tsiranana, premier président de la République malgache. Les historiens ont par la suite appelé cette période « l’autre indépendance de Madagascar ». « Un parallèle peut être fait, mais il n’est pas totalement abouti, analyse l’historien Solofo Randrianja. En 1972, la révolte sociale est partie de grèves estudiantines qui réclamaient la malgachisation de l’enseignement à l’université. En 2021, les étudiants manifestent pour leur survie, ce qui est très différent. »
La population de ce pays qui figure déjà parmi les plus pauvres du monde ne voit pas le bout de la crise économique. Selon le Fonds monétaire international (FMI), le PIB s’est contracté de plus de 4 % en 2020 sous l’effet de la crise sanitaire mondiale. Dans ce contexte, les autorités se montrent fébriles. Et selon Solofo Randrianja, le pouvoir central aurait toutes les raisons de se méfier des foyers de tensions qui couvent dans les villes : « Dans l’histoire du pays, c’est comme ça que les gouvernements sont tombés. » A titre d’exemple, le Mouvement national pour l’indépendance de Madagascar (Monima) a eu beau déclencher, en 1971, le soulèvement d’un millier de paysans, entraînant une répression qui fit quelque 4 000 morts, ce n’est que lorsque la révolte a gagné la capitale, un an plus tard, que Philibert Tsiranana a été renversé.
« La plus grosse menace actuellement, estime un observateur de la vie politique qui préfère rester anonyme, c’est celle d’une implosion entre les principales factions du pouvoir, dans un contexte de risque d’explosion sociale. » En début d’année, des personnels médicaux et paramédicaux ont protesté pour dénoncer le non-paiement de leurs indemnités de réquisition pendant la pandémie. Début mars, ce sont les 230 agents chargés de la gestion des cités universitaires qui ont voté la grève générale pour toucher leurs salaires non versés depuis deux mois. Afin d’apaiser la grogne des étudiants, la présidence malgache a dépêché sa directrice de la communication, Rinah Rakotomanga, à Tuléar, début mars, pour annoncer le paiement des quatre mois de bourse en retard.
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