Les universités américaines doivent-elles continuer à accueillir autant d’étudiants étrangers ? La question a été explicitement posée en juin dernier lors d’un débat réunissant les présidents de quelques-unes des universités les plus prestigieuses du pays lors de la 16e édition de l’Aspen Ideas Festival, rapporte le magazine The Atlantic.

En 2017, les États-Unis ont délivré moins de 400 000 visas étudiants, soit une baisse de 17 % par rapport à 2016 et de 40 % par rapport à 2015 – des chiffres spectaculaires mais trompeurs, souligne le site Quartz, car les étudiants chinois, qui représentent un bon tiers des étudiants étrangers présents sur les campus américains, ne sont plus contraints depuis 2014 à renouveler leur visa tous les ans.

Les données les plus fiables en la matière sont celles de l’Institute of International Education. Elles montrent que les inscriptions d’étudiants internationaux dans les universités américaines sont en baisse depuis deux ans : − 3 % en 2016 et − 7 % en 2017.

Réserver les universités aux étudiants américains ?

“Les États-Unis sont en train de perdre leur attrait aux yeux des étudiants étrangers”, analyse Quartz, qui pointe plusieurs facteurs à l’origine du phénomène : des frais de scolarité qui augmentent, moins de bourses accordées par l’Arabie Saoudite à ses étudiants, mais surtout la politique anti-immigration mise en œuvre par l’administration Trump. “La majorité des établissements mentionnent des problèmes de visa comme principale raison de la baisse du nombre d’étudiants internationaux inscrits l’automne dernier.”

La demande internationale en matière d’enseignement supérieur n’a pas disparu, mais elle s’est tournée vers d’autres pays anglophones, constate Quartz. En 2017, les étudiants internationaux ont ainsi été plus nombreux à candidater dans les universités canadiennes, irlandaises, australiennes et même – malgré la perspective du Brexit – dans les universités britanniques. Les États-Unis sont donc une exception.”

La baisse du nombre d’étudiants étrangers est toutefois loin de satisfaire ceux qui, aux États-Unis, estiment que les universités – surtout si elles reçoivent des fonds publics – devraient être réservées aux étudiants américains.

“Selon certaines critiques adressées aux universités, celles-ci devraient avoir pour priorité d’assurer un bon niveau d’études supérieures à un plus grand nombre d’Américains, rapporte The Atlantic. Pour leur part, les présidents d’université soulignent que préserver la plus grande diversité internationale sur les campus présente des avantages” – y compris pour les étudiants américains.

Le magazine cite l’exemple de l’université de Californie à Berkeley. Chaque année, sur plus de 85 000 demandes, 15 500 candidats sont admis en premier cycle, parmi lesquels 4 500 ne sont pas originaires de Californie. Quant aux étudiants étrangers, ils représentent environ 9 % des admissions.

Une proportion relativement modeste, mais dont certains estiment qu’elle entre en contradiction avec la vocation d’une université publique créée dans les années 1800 pour permettre aux enfants d’agriculteurs et d’ouvriers californiens d’accéder aux études supérieures.

Où le prochain Elon Musk ira-t-il faire ses études ?

Carol Christ, chancelier de l’université, a récusé ce reproche lors du débat qui s’est tenu à Aspen. La présence sur le campus d’étudiants étrangers est indispensable pour assurer aux étudiants californiens un enseignement “de premier ordre”, “leur donner une bonne aisance à l’international et leur permettre d’acquérir la capacité de franchir les frontières”, a-t-il plaidé. Refuser les étudiants internationaux reviendrait donc à “compromettre leurs chances de succès”.

Tout en jugeant que les universités devraient redoubler d’efforts pour attirer davantage d’étudiants américains, Peter Salovey, président de l’université Yale, a souligné pour sa part que l’idée selon laquelle elles profiteraient de financements publics sans en faire bénéficier l’ensemble de la société américaine est erronée : “Les nouvelles technologies sont nées dans l’arrière-cour de Stanford – ce n’est pas un hasard.”

Mais le prochain Elon Musk – le fondateur de SpaceX, d’origine sud-africaine, naturalisé américain en 2002 – choisira-t-il de poursuivre ses études aux États-Unis ? s’interroge dans Forbes Ryan Craig, directeur du fonds d’investissement University Ventures, spécialisé dans l’enseignement supérieur et l’innovation.

L’isolationnisme américain est aussi ancien que les États-Unis eux-mêmes, mais c’est la première fois qu’il affecte les établissements d’enseignement supérieur, souligne Ryan Craig. “L’année 2017 a été marquée par la première baisse [significative] du nombre d’étudiants étrangers depuis une décennie. Un renversement de tendance sans précédent.”

Il y a seulement six ans, Mitt Romney, le candidat républicain à l’élection présidentielle de 2012 face à Barack Obama, plaidait pour l’octroi systématique d’une carte verte à tout étudiant étranger diplômé d’une université américaine, rappelle l’auteur. “Et le pire, c’est qu’on évoque de nouvelles restrictions sur les visas étudiants avant les élections de mi-mandat [prévues en novembre prochain].”

Et Ryan Craig lance cet avertissement :

Le leadership des États-Unis est directement lié à leur capacité à attirer les meilleurs talents mondiaux, notamment dans le secteur clé des technologies. Rendre les universités américaines moins attrayantes pour les étudiants étrangers, c’est fragiliser le pays.”

courrierinternational.com