Le narcotrafiquant mexicain Joaquin Guzman a dirigé pendant vingt-cinq ans un des cartels les plus puissants au monde. Et ses évasions rocambolesques ont alimenté sa légende.
Il a été le baron de la drogue le plus puissant au monde, il devrait finir ses jours en prison. Le narcotrafiquant mexicain Joaquin Guzman, dit « El Chapo », a été condamné mercredi 17 juillet à la perpétuité par un juge fédéral de New York. Ses avocats ont déjà annoncé qu’ils feraient appel.
Joaquin Guzman, 62 ans, avait été jugé coupable en février de dix chefs d’accusation, allant de « blanchiment » à « trafic de cocaïne » en passant par « organisation d’une entreprise criminelle ». Considéré comme le narcotrafiquant le plus puissant au monde, Joaquin Guzman a acheminé aux Etats-Unis au moins 1 200 tonnes de cocaïne sur un quart de siècle.
Durant son procès, l’accusation a montré que le Mexicain avait ordonné l’assassinat ou mis lui-même à mort au moins vingt-six personnes, parfois après les avoir torturées : des informateurs, trafiquants issus d’organisations rivales, des policiers, des collaborateurs voire des membres de sa propre famille.
Avant de connaître sa peine, Joaquin Guzman s’est exprimé pour la première fois depuis son extradition aux Etats-Unis, en janvier 2017. A l’audience, il a affirmé avoir été privé d’un procès équitable.
« La justice n’a pas été rendue. Les Etats-Unis ne valent pas mieux que tous les autres pays que vous ne respectez pas. »
S’exprimant en espagnol, il a dénoncé ses conditions de détention, affirmant avoir été « torturé physiquement, psychologiquement et mentalement vingt-quatre heures par jour ».
Une vie « à empoisonner les rues de notre pays »
« C’était une peine inévitable », a réagi l’avocat de Guzman, Jeffrey Lichtman, à la sortie de l’audience, dénonçant « de l’inquisition » et « un spectacle ». « Cette peine est significative et bien méritée », a commenté de son côté le procureur fédéral de Brooklyn, Richard Donoghue. « C’est la seule peine qui pouvait être prononcée pour quelqu’un qui a passé sa vie à empoisonner les rues de notre pays », a ajouté la procureure fédérale de Miami, Ariana Fajardo Orshan.
« Nous voulons que ce dossier serve d’avertissement », a souligné Mike Driscoll, chargé du bureau de New York du FBI, le message étant que les autorités américaines sont prêtes à tout mettre en œuvre « pour poursuivre les chefs de ces cartels et leur faire payer les dégâts qu’ils font dans notre pays tous les jours ». Joaquin Guzman devrait purger sa peine à l’Administrative Maximum Facility, un établissement situé au milieu de nulle part, à Florence (Colorado).
Mercredi, le juge a aussi ordonné la saisie de 12,6 milliards de dollars (11,2 milliards d’euros), ce qui correspond, selon le procureur, aux gains tirés du trafic de drogue. A ce jour, la justice américaine n’en a pas vu le moindre centime. Selon l’enquête, plusieurs centaines de millions de dollars auraient pourtant transité par le système bancaire et El Chapo aurait également investi dans une compagnie d’assurance située aux Etats-Unis.
Empire de la drogue
Joaquin Guzman a dirigé pendant vingt-cinq ans l’un des cartels les plus puissants au monde. Ses évasions rocambolesques ont alimenté sa légende et lui ont valu une notoriété internationale, jusqu’à son arrestation en 2016, qui a mis fin à des décennies de traque par les autorités.
Né le 4 avril 1957 dans une famille pauvre d’un village des montagnes de Sinaloa, dans le nord-ouest du Mexique, il travaille dès l’enfance en vendant oranges, caramels et boissons gazeuses. Comme il le racontera à l’acteur Sean Penn lors d’un entretien en octobre 2015 censé rester secret mais qui contribuera à son arrestation, il se met, adolescent, à cultiver marijuana et pavot, faute d’alternatives. « La seule façon d’avoir de l’argent, d’acheter de la nourriture, de survivre, était de faire pousser le pavot à opium, la marijuana, alors, à cet âge, j’ai commencé à en cultiver et à en vendre », confiait-il à l’acteur américain.
Il sera ainsi recruté par le chef du cartel de Guadalajara, Miguel Angel Felix Gallardo, surnommé « le parrain » des cartels mexicains modernes. Après l’arrestation de Gallardo en 1989, Guzman fonde avec trois associés le cartel de Sinaloa, dont il fera en quelques années un empire aux ramifications européennes et asiatiques. « Je fournis plus d’héroïne, de méthamphétamine, de cocaïne et de marijuana que n’importe qui dans le monde. J’ai des flottes de sous-marins, d’avions, de camions et de bateaux », se vantait-il dans l’interview à Sean Penn, publiée dans le magazine Rolling Stone.
La fortune amassée par le cartel lui vaudra de figurer un temps sur la liste du magazine Forbes des hommes les plus riches du monde, avant d’en sortir en 2013 en raison des dépenses nécessaires à sa protection.
Evasion par un tunnel
S’il alimentait une image de Robin des Bois aidant les pauvres et ridiculisant les puissants, El Chapo a aussi mené une lutte ultraviolente contre ses rivaux, une guerre entre cartels qui ravage aujourd’hui encore le Mexique. Une fusillade en 1993 à l’aéroport de Guadalajara a notamment coûté la vie au cardinal Juan Jesus Posadas Ocampo, que des tueurs avaient confondu avec El Chapo.
Un mois après, le chef de cartel est arrêté au Guatemala. Détenu dans une prison de haute sécurité mexicaine, il soudoie ses gardes et s’échappe en 2001, caché dans un bac à linge sale. Les autorités mexicaines mettront treize ans à le rattraper, en février 2014, dans la station balnéaire de Mazatlan, où il se cachait avec sa femme Emma Coronel, une reine de beauté de trente-deux ans sa cadette, et leurs jumelles, nées aux Etats-Unis.
En juillet 2015, rebelote : Guzman s’évade par un tunnel de 1,5 km débouchant sous la douche de sa cellule et équipé de rails, illustrant l’ingéniosité de ses hommes et infligeant un sérieux camouflet aux autorités mexicaines. Cette nouvelle cavale sera brève : il est arrêté en janvier 2016 à Los Mochis, sur la côte Pacifique, dans son fief de Sinaloa.
C’est en interceptant des messages adressés à l’actrice américano-mexicaine Kate del Castillo que les autorités l’auraient retrouvé. L’actrice, qui incarnait une chef de cartel dans la série La Reine du Sud, accompagnait Sean Penn pour l’interview de 2015.
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