Les pays de l’ancien bloc soviétique veulent profiter de leurs communautés issues d’Afrique pour développer des échanges commerciaux, précise notre chroniqueur.
Chronique. Jouer la carte de la diaspora pour faire des affaires n’est pas l’apanage de l’Occident. Les pays de l’ancien bloc soviétique convoquent aussi quelques binationaux pour travailler avec l’Afrique. Et la dynamique pourrait bien s’intensifier avec le retour récent et affirmé du « grand ours russe » sur l’échiquier. D’autant que la Russie vient d’annoncer la tenue du premier sommet Russie-Afrique en octobre à Sotchi…
Or, la présence de ces diasporas africaines en terre slave est le produit d’un passé récent. Pour la comprendre, inutile de remonter au XIXe siècle : un petit saut à l’époque de la guerre froide suffit. Les gouvernements communistes d’alors avaient lancé des programmes d’échanges entre étudiants et professeurs. Grâce aux multiples bourses octroyées, de nombreux étudiants africains ont donc pris le chemin des universités des démocraties populaires et, évidemment, de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).
Ainsi, « alors qu’ils étaient à peine quatre étudiants africains en Pologne durant les années 1950, plus de deux mille d’entre eux se formaient à la fin des années 1970 sur le territoire de ce pays d’Europe centrale », rappelle une exposition récente, intitulée Afro PRL, organisée à Varsovie et consacrée à la relation entre la Pologne et l’Afrique durant la guerre froide.
Rester dans leur pays d’accueil
Dans ce mouvement d’ouverture, le grand voisin russe n’a évidemment pas été en reste. Ainsi, le réseau sur les politiques et la coopération internationale en éducation et en formation estime que « près de 50 000 étudiants africains ont été formés dans les universités de ce pays », avant que le bloc soviétique ne s’effondre en décembre 1991.
Or, tous ne sont pas rentrés. Ou pas tout de suite. Une part de ces jeunes gens ont même fondé une famille avant de regagner leur continent, et d’autres ont tout bonnement choisi de rester dans leur pays d’accueil. Des enfants sont nés des couples mixtes et constituent aujourd’hui une bonne part de ces diasporas passées sous silence. On en parle peu, car elles sont peu nombreuses. Rien à voir en effet entre leur nombre et les diasporas occidentales. A titre de comparaison, il faut se souvenir qu’en Grande-Bretagne, la diaspora africaine s’élève à 1,8 million d’habitants, selon les chiffres avancés par l’organisation Minority Rights Group International, et qu’en France leur présence est estimée à 3,6 millions de personnes.
Petites diasporas africaines
A l’Est, les chiffres sont bien plus modestes. On considère que « 40 000 Afro-Russes vivent actuellement » en Russie, indique un documentaire réalisé en 2016 par la photographe russe d’origine ghanéenne, Liz Johnson Artur. En Pologne, vivraient « 5 000 Afro-Polonais », comme le souligne une note publiée par Sani Ramirez dans Gal-Dem de janvier 2018.
Même si la communauté est étroite, les membres de ces petites diasporas africaines sont très utiles à leur terre d’accueil, car elles aident à nouer des relations économiques entre les deux mondes, à l’instar du député polonais d’origine zambienne, Killion Munyama. Ainsi, c’est peut-être le fruit du hasard mais, suite à une visite à laquelle ce dernier prit part à Lusaka en Zambie, en compagnie de l’ancien premier ministre Donald Tusk, la société polonaise Ursus a signé, quelque temps plus tard, un contrat pour la livraison de tracteurs aux paysans zambiens pour un montant de 100 millions de dollars (plus de 88 millions d’euros).
La Hongrie semble tabler elle aussi sur sa diaspora africaine, puisqu’elle a fait ouvertement appel à des membres de la diaspora afro-hongroise, tels que Maria Sarungi Tsehai, figure médiatique reconnue en Tanzanie née au pays des Magyars, pour tenter de dynamiser les échanges entre Budapest et l’Afrique. Autant d’exemples qui prouvent bien que les anciens pays communistes sont déterminés à utiliser tous les moyens dont ils disposent pour se frayer un chemin sur le marché africain.
Szymon Jagiello est journaliste et observateur depuis Bruxelles de l’actualité africaine.