Dénonciateur de la corruption dans son pays, l’écrivain nigérian, Chinua Achebe, est mort à l’âge de 82 ans. Il était l’un des pères de la littérature africaine, auteur du roman-culte Le monde s’effondre (1958), une critique du colonialisme blanc.
Selon les médias nigérians, il est mort aux Etats-Unis dans un hôpital de Boston. Il avait longtemps été professeur à la Brown University. « En sa compagnie, les murs de la prison tombaient », a commenté à son sujet Nelson Mandela, cité par la Fondation Mandela. L’écrivaine sud-africaine et Prix Nobel de littérature, Nadine Gordimer s’est déclaré « choquée » par sa mort et a salué « un ami proche » et un « humaniste ».
Son nom a été cité pour le Nobel de littérature mais c’est un autre Nigérian, Wole Soyinka, qui devint en 1986 le premier africain à le recevoir. Le monde s’effondre, vendu à 10 millions d’exemplaires dans une cinquantaine de pays, était imprégnée de la culture Igbo, son groupe ethnique, sur fond de colonisation, ses thèmes de prédilection. Il avait aussi écrit des romans comme Les termitières de la savane, Le malaise, La flèche de Dieu et Le démagogue.
« UN CLASSIQUE DE SON VIVANT »
En 2002, il avait reçu le prestigieux Prix de la paix des libraires allemands. Pour le jury, « il était devenu un classique de son vivant, une des voix les plus fortes et les plus subtiles de l’Afrique dans la littérature du XXe siècle, un moraliste et un grand narrateur. Il passe pour le fondateur de la tradition littéraire de l’Afrique de l’ouest avec une œuvre très imprégnée par la tradition orale de son peuple ».
Il avait également été recompensé en 2007 par le Man Booker International Prize, émanation du Booker Prize, le grand prix littéraire britannique. La sud-africaine Nadine Gordimer, Nobel 1991, l’avait alors qualifié de « père de la littérature africaine moderne ».
Achebe est né dans les années 30, cinquième d’une famille de six enfants, à Ogidi, dans le sud-est du Nigeria. L’atmosphère est alors dominée par les missionnaires chrétiens et le colonialisme britannique. Son père, instituteur anglican, sillonne la région avec sa mère pour prier et enseigner. Chinua Achebe est étudiant à l’université d’Ibadan, dans le sud-ouest du pays, puis collabore à la NBC (Nigerian Broadcasting Corporation) dans les années 50, avant l’indépendance de 1960.
« L’HISTOIRE DE LA CHASSE GLORIFIERA TOUJOURS LE CHASSEUR »
En 1967, les habitants du sud-est du Nigeria font sécession après des massacres du peuple Igbo et forment la nation du Biafra : Achebe la soutient. Une guerre civile de 1967 à 1970 suit, qui fera plus d’un million de morts. L’écrivain, qui a enseigné par la suite dans son pays, en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, a écrit en 2012 son Histoire personnelle du Biafra.
« Des auteurs comme l’Américain Ernest Hemingway ont représenté la population noire africaine comme des sauvages et sont ainsi à l’origine d’un immonde blasphème, disait Achebe. C’est pourquoi j’ai décidé de tenter d’écrire des livres où les personnages étaient des Africains comme je les connais ». Il citait souvent ce proverbe : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, l’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur ».
Paralysé des membres inférieurs après un accident de voiture en 1990, Achebe était aussi très respecté au Nigeria pour ses prises de position contre la corruption et la mauvaise gouvernance d’un pays richissime en pétrole. Il avait écrit à ce sujet le pamphlet Le problème avec le Nigeria (1984). En 2011, il avait refusé d’être décoré par les autorités du Nigeria, estimant que son pays se portait trop mal.
C’était la seconde fois qu’il refusait d’être fait « Commandant de la République Fédérale », l’une des plus hautes distinctions de ce pays, le plus peuplé d’Afrique avec quelque 160 millions d’habitants dont la plupart vit avec moins de 2 dollars par jour.
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