Les établissements ont dû innover pour permettre aux étudiants de suivre les cours et de passer leurs partiels à distance. Une véritable révolution.
Les universités, grandes écoles et autres établissements d’enseignement supérieur n’avaient pas prévu de tels bouleversements. En l’espace de quelques mois, la crise pandémique de Covid-19 a complètement transformé les pratiques. Les établissements ont dû s’adapter pendant le confinement: ils ont su le faire, avec plus ou moins de réussite.
D’abord, en faisant passer, du jour au lendemain, la totalité des cours à distance. Les écoles de commerce, par exemple, ont massivement investi pour étoffer leur offre de cours à distance. «Nous avons rénové nos salles pour qu’elles soient adaptées aux cours en streaming», précise Emmanuel Métais, directeur général de l’Edhec, qui évoque plusieurs millions d’euros de dépense. Et il fallait également innover, pour arriver à intéresser des étudiants souvent ennuyés par la répétition de cours à distance.
Campus virtuels et «hybridation» des cours
Pour cela, Neoma BS a lancé un campus virtuel aux allures de jeu vidéo. Un moyen ludique pour les jeunes de suivre les cours à distance et d’interagir avec leurs camarades comme leurs enseignants. «Nous considérons que ce campus virtuel est une bonne solution pour le distanciel, car la visio classique génère beaucoup de fatigue, notamment parce que les intervenants sont constamment préoccupés par leur apparence à l’écran. Là, les gens peuvent se cacher derrière leur avatar et simplement faire attention à leur prise de parole», détaille Alain Goudey, directeur de la transformation digitale de l’école.
« Il faut être sincère, la plupart des universités n’étaient absolument pas prêtes à ça»Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg
Des innovations que les universités ont eu du mal à mettre en place. Au cours des premiers mois de confinement, nombre d’étudiants se sont plaints du suivi parfois totalement inefficace de certains enseignants ainsi que des défaillances du système informatique de leur établissement. «Il faut être sincère, la plupart des universités n’étaient absolument pas prêtes à ça. Mais nous nous y sommes tous mis par la force des choses. Et nous avons reçu des financements qui nous ont permis d’assumer l’hybridation des cours», se félicite Michel Deneken, président de l’université de Strasbourg. Dans le cadre du plan de relance, le gouvernement a effectivement alloué 5,7 milliards au ministère de l’enseignement supérieur afin d’accompagner les universités dans leur virage numérique. «À l’avenir, l’enseignement sera hybride, avec un mélange de présentiel et de distanciel», a notamment déclaré la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, dans les colonnes du Figaro.
Des demandes de remboursement
Mais au cours des deux confinements, le distanciel est bel et bien devenu la norme. Un changement brutal difficile à assumer pour les établissements d’enseignement supérieur. Nombre d’élèves et de familles ont d’ailleurs fait comprendre que la prestation proposée n’était pas au niveau de leurs attentes. Certains étudiants de grandes écoles ont même demandé le remboursement de leurs frais de scolarité, s’estimant lésés par un enseignement à distance «décevant». «Pendant le premier confinement, les seuls cours qui ont été dispensés à mes deux enfants, qui sont en école de commerce et d’ingénieurs, sont des documents PDF reçus par mail», raconte cette mère de famille, qui a réclamé aux établissements en question le remboursement d’une partie des frais de scolarité.
«Nous avons rejeté toutes ces demandes »Herbert Castéran, directeur de l’EM Strasbourg.
«Il y a une inadéquation choquante entre la qualité des cours et le prix payé, 9000 euros par an: c’est une énorme injustice pour eux», estime-t-elle. Malgré ces demandes, elle n’obtiendra pas de dédommagement, comme tous les autres ayant essayé de se faire rembourser. «Le contrat moral qui nous relie à nos étudiants est basé sur la qualité du diplôme, sur notre capacité à apporter des compétences, non sur les modalités pédagogiques de cette délivrance. Nous considérons que pendant la période du confinement, nous avons trouvé des solutions permettant de ne pas affecter la qualité des diplômes. C’est pourquoi nous avons rejeté toutes ces demandes», témoigne Herbert Castéran, directeur de l’EM Strasbourg.
De la triche pendant les partiels
Une qualité de diplôme identique? Beaucoup en doutent. À l’université, lors des partiels effectués à distance, nombre de jeunes ont eu recours à des techniques de triche afin d’avoir de meilleures notes. «C’est facile, on a tout sous la main: nos cours, nos fiches, internet, et même, notre portable si l’université nous bloque l’accès à d’autres pages web. C’est hyper simple d’obtenir de bonnes notes», témoigne cette étudiante en langues étrangères appliquées. Même pour les oraux avec caméra, les jeunes trouvent la parade. «J’avais réglé ma caméra et l’angle de mon ordinateur pour mieux lire les réponses que j’avais affichées en gros sur mon mur. Je levais juste un peu la tête pour regarder et mon prof ne s’est rendu compte de rien», raconte une autre jeune.
Et les universités n’y peuvent pas grand-chose. «Si certains veulent tricher, on ne peut pas y parer», avouait fataliste Sandrine Rui, vice-présidente formation de l’université de Bordeaux, après les partiels du premier confinement. De quoi inquiéter les jeunes sur la valeur de leur diplôme. «Tout le monde triche, c’est démoralisant et inutile. Je suis dégoûté, on se demande vraiment ce que vont valoir nos diplômes», témoigne, dépité, un étudiant. Malgré cela, les présidents d’universités se veulent rassurants. «La continuité pédagogique fait que ce ne sont pas ces quelques mois de confinement qui vont rendre moins qualitatifs des diplômés préparés sur trois ou cinq ans», estime Gilles Roussel, président de l’université Paris-Est-Marine-la-Vallée.
Les oraux des concours annulés
Cette crise sanitaire a également bouleversé le déroulement de nombreux concours. Lors du premier confinement, les grandes écoles de commerce et d’ingénieurs ont presque toutes pris la décision d’annuler les oraux de leurs concours. «Cela aurait été très compliqué à tenir, sauf à les faire au mois d’août, mais cela aurait dérangé les familles et décalé nos rentrées», explique Alice Guilhon, la présidente du chapitre des écoles de management à la CGE (Conférence des grandes écoles).
Du côté des écoles post-bac, même les traditionnelles épreuves écrites sont annulées: les étudiants sont sélectionnés sur Parcoursup, en fonction des notes obtenues en première et en terminale, des appréciations de leurs professeurs, de leur CV et de leur lettre de motivation. Même décision pour les Instituts d’études politiques de province: les écrits ont été remplacés en 2020 par un «examen des dossiers académiques des candidats». Une décision très difficile à encaisser pour les étudiants ayant préparé ces concours depuis le début de l’année, voire plus. «J’ai préparé mes concours toute l’année au détriment, parfois, de mes notes, et finalement, j’apprends que c’est sur ces résultats que je vais être sélectionné. J’étais extrêmement inquiet», explique un étudiant, finalement sélectionné dans l’école qu’il voulait intégrer.
Et la liste des concours complètement modifiés à cause du Covid-19 ne s’arrête pas là, puisque fin 2020, au cours du deuxième confinement, nombre de banques d’épreuves ont anticipé une possible troisième vague en annonçant plusieurs changements de taille. C’est par exemple le cas du concours Sésame, dont les épreuves écrites de l’édition 2021 se dérouleront en ligne. Un dispositif qui s’accompagnera d’un système de surveillance à distance des candidats. Même décision pour le concours d’écoles de commerce post-bac Accès (Iéseg, Essca, Esdes), qui se déroulera en ligne et sera surveillé via webcam et micro. D’autres concours, comme Ecricome, ont opté pour une annulation pure et simple de ses épreuves écrites, les remplaçant, comme l’année précédente, par une sélection sur dossier, complété de tests en ligne.
Des populations étudiantes changées
Ces changements dans les concours ont occasionné quelques modifications des populations étudiantes. Ainsi l’IEP de Lille a été accusée de discriminer les élèves issus des lycées privés. En effet, les concours ayant été annulés, l’admission s’est faite exclusivement sur dossier scolaire. «Dès lors que ce classement se fait sur les notes obtenues au lycée, il n’est pas étonnant que les élèves des lycées qui notent plus sec qu’ailleurs soient moins bien classés. Nous ne faisons aucune différence entre les établissements», explique Pierre Mathiot, directeur de l’IEP de Lille.
L’annulation des oraux lors des concours postprépa en école d’ingénieurs a eu aussi des conséquences. «Cette année, nous avons moins de filles. En 2019, nous avions 22% de femmes à notre recrutement sur concours, cette année, nous en avons eu seulement 15%», explique par exemple Olivier Lesbre, directeur de l’Isae-Supaero, meilleure école d’aéronautique de France. «Dans une filière comme la nôtre, où les garçons sont majoritaires, les filles remontent à l’oral. L’inverse s’est produit dans la filière lettres de l’ENS, où les filles, très majoritaires, ont été favorisées par la suppression des oraux», décrit-il. Une situation qui se reproduira peut-être en 2021, tant les concours risquent encore d’être bouleversés.
lefigaro.fr