10 mois après le début de la pandémie de Covid-19, l’Afrique est la partie du monde la moins touchée par ce virus. Comment et pourquoi ce continent de plus d’un milliard deux cent millions d’habitants est-il parvenu à déplorer moins de morts en 8 mois que la France qui n’en compte que 67 millions ?
Alors que de nombreuses prévisions alarmistes pour l’Afrique circulaient au début de la pandémie de Covid-19, force est de constater que c’est exactement l’inverse qui s’est produit. Quand l’Europe et l’Amérique du Nord font face à une deuxième et troisième vague de l’épidémie — avec des taux de contagions très élevés dans leurs population menant à des saturations de leurs systèmes hospitaliers — l’Afrique, n’est que très peu touchée. Quelques pays font exception, comme l’Algérie, l’Egypte, le Maroc, le Kenya ou l’Afrique du Sud qui à elle seule comptabilise près de la moitié des des morts de tout le continent.
Cartographie des personnes contaminées par le Covid-19 en Afrique au 8/11/2020 (données officielles africaines), site Covid-19 Africa — Cédric Moro (Sénégal) L’épidémie de coronavrius ne s’est donc pas répandue sur tout le continent et malgré des situations plus ou moins contrastées entre certaines régions, la situation est globalement sous contrôle. Comment expliquer cette exception africaine face à la pandémie mondiale de Covid-19 ?
Les autorités très tôt en pointe
En Afrique subsaharienne, dès le mois de février, des contrôles de température systématiques ont été effectués dans les aéroports. Dans de nombreux pays du continent, les passagers en provenance de Chine étaient placés en quatorzaine. Une réunion des ministres de la Santé d’Afrique de l’Ouest s’est déroulée à cette même période pour décider de plans nationaux concertés pour lutter contre l’épidémie. En Côte d’Ivoire, les écoles et les frontières ont été fermées 5 jours seulement après que le premier cas a été détecté, puis un couvre-feu mis en place la semaine suivante.
Au Sénégal, dès le 2 mars, le Plan national de sécurité sanitaire d’urgence a été activé, alors qu’un premier cas de Covid-19 venu de l’étranger était détecté. Des centres d’opérations d’urgence sanitaire ont été très rapidement déployés pour dépister et isoler les cas positifs, les frontières ont été fermées et l’état d’urgence sanitaire a été instauré avec l’obligation de port du masque pour toute la population. TV5MONDE, le 15 février 2020 Pour comparaison, en France, le 26 février, un match de football entre l’équipe italienne de la Juventus de Turin et celle de Lyon s’est déroulé avec 3000 supporters venus d’Italie alors que ce pays commençait déjà à dénombrer des dizaines de cas de contaminations et plusieurs décès causés par le Covid-19. L’épidémie a été prise très au sérieux par les autorités africaines dès le départ, à l’inverse des pays occidentaux qui ont tergiversé plusieurs semaines avant de mettre en œuvre des mesures nationales de confinement ou d’imposition du masque.
Cartographie des personnes décédées par le Covid-19 en Afrique au 8/11/2020 (données officielles africaines), site Covid-19 Africa — Cédric Moro (Sénégal)
L’Afrique subsaharienne était mieux préparée
Une partie du continent africain, dont la RDC en particulier, a été durement éprouvée par plusieurs épidémies de la maladie d’Ebola depuis 6 ans. Ce virus hautement contagieux tue un malade sur deux et a traumatisé des millions de personnes sur le continent. Depuis les dernières épidémies d’Ebola, des réflexes ont donc été pris par les populations pour contrer la progression du virus. L’OMS a d’ailleurs déclaré un état d’urgence sanitaire mondial en 2014, puis en 2019, pour les épidémies d’Ebola. La dernière en date vient à peine de se terminer en RDC.
Selon la plupart des observateurs, la faculté des populations africaines à appliquer désormais très rapidement des gestes barrières et s’organiser pour repérer les personnes contaminées est un facteur important de la faible progression du Covid-19 sur le continent. Les habitants de l’Afrique subsaharienne ont appris à contrer une épidémie terrifiante, celle du virus Ebola, ils étaient donc bien mieux préparés à faire face à celle du Covid-19 quand elle est apparue. De plus, dès le début du mois de mars, des laboratoires de référence de plusieurs pays nord-africains ainsi que le Sénégal se préparaient depuis plus d’un mois et avaient reçu des tests par le biais de l’OMS pour dépister le Covid-19, comme le soulignait à l’époque le professeur Pierre-Marie Girard, directeur du Réseau International des Instituts Pasteur :
Un contexte particulier ?
Bien entendu, tout n’a pas été parfait sur le continent, avec des problèmes de refus de certains groupes de personnes de ne plus se réunir ou d’accepter la réalité du virus, de la même manière qu’en Europe ou aux Etats-Unis. Dans ces cas de figure, comme au Sénégal ou au Maroc, les médecins aidés des autorités sanitaires ont communiqué dans les médias pour alerter la population, avec parfois des menaces de sanctions pénales des gouvernements pour ceux qui produiraient ou relayeraient des fausses informations sur le virus ou la réalité de l’épidémie.
Au-delà de la très bonne gestion sanitaire par anticipation des autorités et la bonne attitude de la majorité des populations, des explications liées au contexte africain ont été avancées pour expliquer la faible progression du virus sur le continent. Celle du climat, qui par la chaleur serait défavorable au virus, n’a jamais été démontrée scientifiquement. Mais d’autres facteurs sont par contre étudiés, dont celui de la jeunesse de la population et des modes de vie différents des pays du Nord. Le docteur Massamba Diop, fondateur de SOS médecins Sénégal et spécialiste de l’épidémie de Covid-19, fait plusieurs constats. « Les confinements freinent la progression de l’épidémie s’ils sont effectués très tôt. Dès qu’un premier patient contaminé se déplace, s’il n’est pas isolé, alors le virus se reproduit très vite. Nous avons débuté avec un taux de reproduction R0 à 8 au Sénégal, ce qui est énorme, mais très vite ce taux est tombé très bas« , explique le spécialiste.
Pour autant, la majorité des pays d’Afrique n’ont pas confiné leurs populations comme en Europe : les difficultés socio-économiques que cela aurait entraîné étaient bien plus grandes que celles causées par la contagion au Covid-19. Massamba Diop explique donc la très faible mortalité africaine par plusieurs facteurs. « En réalité si l’on prend des mesures de gestes barrières et de port du masque très tôt, il peut y avoir un facteur de transmission qui passe de 7 à 1. Les pays d’Afrique ont réagi très tôt et ont donc abaissé le facteur de transmission, mais il faut aussi savoir que 90% des morts ont plus de 65 ans chez nous et qu’en Afrique, les plus de 65 ans c’est seulement 3% de la population, contre plus de 20% en Europe« , souligne le médecin.
Une forme d’immunité en Afrique ?
Pourquoi la population africaine ne tombe que très peu malade lorsqu’elle est infectée par le Covid-19 et n’en meurt que quand elle est âgée ? Le docteur Massamba Diop avance plusieurs hypothèses. La première est potentiellement liée à l’environnement : « La majorité des personnes testées Covid positif ont un taux de vitamine D bien plus bas que la moyenne« , explique le médecin. La vitamine D est notamment apportée par l’exposition au soleil, ce qui est plus le cas en Afrique qu’en Europe. Mais cette explication n’est pas suffisante, tout comme celle des modes de vie. Le fondateur de SOS médecin Sénégal insiste sur ce point : « La densité de population dans les villes africaines est très importante et devrait au contraire accentuer la propagation du virus, cela n’a pas été le cas.L’exposition au soleil pour la vitamine D peut expliquer une partie de la faible contamination, mais au Brésil cela ne s’est pas vérifié«
D’autres possibilités sont donc étudiées, dont celle d’une possible immunité locale. « Ce n’est pas l’origine africaine, génétique, qui jouerait, comme certains ont tenté de le démontrer, puisque les Afro-américains ou Afro-européens meurent bien plus que les Afro-africains ou même que les Européens. Il pourrait s’agir d’une immunité locale et croisée, propre à la vie sur le continent et pré-existante, avec l’exposition des populations à d’anciens coronavirus ou des bactéries, on ne le sait pas encore, mais c’est une possibilité« , analyse le docteur Massamba Diop. Ce qui reste certain pour le spécialiste, c’est qu’une forme d’immunité collective semble s’être développée avec la circulation du virus qui a malgré tout eu lieu, particulièrement depuis cet été, sans affecter gravement les porteurs ou les tuer. Le médecin estime que « 40 à 50% de la population sénégalaise est contaminée aujourd’hui. Plus grand monde ne porte de masques et le taux de reproduction du virus est descendu à 0,2, ce qui est très faible, en sachant qu’aujourd’hui nous avons seulement 23 personnes hospitalisées pour tout le Sénégal.«
L’Afrique ne doit pour autant pas relâcher sa vigilance, « au moins pour un an avec le Covid-19« , selon le docteur Massamba Diop, qui conclut : « Nous avons certainement bénéficié d’une conjugaison de facteurs favorables, entre les mesures de gestes barrières prises très tôt, puis la circulation du virus, qui a certainement créé une forme d’immunité collective avec très peu de morts et peu de contaminés grâce à la jeunesse de la population, ce qui nous a permis d’avoir 100 fois moins de morts qu’en Europe. Si nous avons bénéficié d’une protection immunitaire propre au continent, il faut malgré tout que nous restions vigilants, surtout si un autre virus mutant et meurtrier dont nous ne serions pas protégés arrivait, comme le MERS-COV, qui tue plus d’un tiers des personnes touchées.«
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