Le chef de l’Etat Muhammadu Buhari a annoncé la mise en place d’un couvre-feu nocturne et le port du masque obligatoire à partir du 4 mai.
Morenike Alabi, couturière convertie en spécialiste de fabrication de masques, en est convaincue : « La peine, la faim, l’inactivité et les incertitudes de ce dernier mois vont se dissiper » avec la levée du confinement progressif prévu dans la majorité des Etats du Nigeria.
Le président Muhammadu Buhari a annoncé cependant lundi soir 27 avril la mise en place d’un couvre-feu nocturne et le port du masque obligatoire à partir du 4 mai, dans le pays le plus peuplé d’Afrique (quelque 214 millions d’habitants) où les activités économiques vont pouvoir reprendre. A l’exception de l’Etat de Kano, dans le nord, qui a connu ces derniers jours un nombre très important de « décès mystérieux ».
Son intervention était attendue avec beaucoup d’impatience et d’anxiété par les partisans du confinement, qui craignent une explosion des contaminations au Covid-19, et par l’immense majorité de la population qui ne peut plus survivre sans travailler au jour le jour. « Au moins maintenant, les gens vont pouvoir avoir un peu d’argent pour se nourrir », conclut la couturière de Lagos, devant sa pile de masques en tissu faits main.
Le gouvernement a mis en place de l’aide pour les plus pauvres et les particuliers ont multiplié les réseaux d’entraide, mais dans un pays qui enregistre le plus grand nombre de personnes vivant sous le seuil de l’extrême pauvreté, avec plus de 80 millions de personnes, les autorités elles-mêmes reconnaissent que c’est « une goutte d’eau dans l’océan ».
Un coup très dur pour les journaliers
Pour le conducteur de bus Taju Olonade, le chef de l’Etat a enfin entendu « les pleurs du peuple ». « Ça fait un mois que je n’ai pas gagné un centime. Ma famille entière dépend du peu d’argent que ma femme gagne au marché pour survivre, raconte l’homme à l’AFP. J’espère que la vie reviendra bientôt à la normale. »
Le retour à la vie normale est toutefois un souhait que, ni les épidémiologistes, ni les économistes n’osent envisager. Beaucoup craignent une hausse importante des contaminations au nouveau coronavirus, qui comptait ce mercredi les 1 532 cas et a fait 44 morts dans le pays. Le nombre de tests est particulièrement insignifiant et de nombreux Etats, peuplés de plusieurs millions d’habitants, ne disposent pas de laboratoires de dépistage.
« Décider ou non d’une levée de confinement est une décision extrêmement difficile à prendre », concède l’économiste de PwC Andrew Nevin, spécialiste pour le Nigeria. L’arrêt de l’activité économique a été « dévastateur » pour les journaliers qui dépendent de l’économie informelle et qui représentent, selon ce cabinet de conseil économique, 70 % des travailleurs dans le pays. « Est-ce que le déconfinement va entraîner automatiquement une explosion des cas de Covid-19 ? Pour l’instant, personne ne sait », explique-t-il à l’AFP.
Dans tous les cas, le gouvernement nigérian n’avait pas le choix compte tenu de l’augmentation du chômage et de l’inflation, tranche Chukwuka Onyekwena, directeur du groupe de réflexion économique basé à Abuja Centre for the Study of the Economies of Africa.
Peu de marge de manœuvre
Le Nigeria, premier producteur de pétrole du continent et qui dépend du brut pour 70 % de ses revenus extérieurs, subit de plein fouet cette crise mondiale et n’a pas les moyens financiers de soutenir son économie. « Avec la chute des cours du prix du baril, l’augmentation de la dette et le peu de revenus fiscaux, le Nigeria dispose de peu de marge de manœuvre pour répondre à cette crise et le futur parait très sombre », commente l’économiste dans une interview à l’AFP.
Dans l’Etat de Kano, où le confinement total se prolongera au-delà du 4 mai, la situation est particulièrement inquiétante pour les 13 millions d’habitants. Cette région, déjà particulièrement touchée par une pauvreté de masse, a enregistré ces derniers jours des « morts mystérieuses » et les cimetières accueillent « plusieurs dizaines » de corps par jour, selon un employé contacté par l’AFP.
Le gouverneur a affirmé qu’il n’y avait aucune preuve qu’il s’agissait de décès liés directement au Covid-19 mais, en l’absence ou presque de tests, ces morts sont impossibles à autopsier. Dans les rues de Kano, grande ville millénaire du Sahel, beaucoup gardent le souvenir de la terrible épidémie de choléra et de méningite de 1996, qui avait tué près de 12 000 personnes. Mais, malgré la peur, la faim tenaille. Auparavant, Yusuf Mohammed vendait des fruits pour nourrir sa famille de dix-huit personnes : « Avec ce confinement, je n’aurai bientôt plus aucune économie. »