Face au réchauffement climatique, toutes les régions du monde ne sont pas logées à la même enseigne. Selon les experts du GIEC, l’Afrique est le continent le plus vulnérable vis à vis des conséquences des changements climatiques. Comment l’expliquer ? Entretien avec Edmond Totin, expert et coordonateur du GIEC.
Va-t-il falloir vivre avec les conséquences du réchauffement climatique ? Dans certains pays, cette question est devenue une évidence. Au mois de février 2022, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publiait le deuxième volet de son sixième rapport. Celui-ci se concentre sur les impacts, les besoins d’adaptation et les vulnérabilités face aux changements climatiques. Comment le continent africain se situe face à ces enjeux ?
Le rapport du GIEC indique que l’Afrique est le continent le plus vulnérable face aux conséquences du réchauffement climatique. Edmond Totin est l’un des experts et coordonnateurs du chapitre sur l’Afrique du deuxième volet du rapport. Selon lui, cette vulnérabilité s’explique par la capacité d’adaptation défaillante du continent. Cependant, il reste optimiste et estime qu’il est possible de renverser la tendance.
TV5MONDE : Comment le quotidien des Africains est ou va être bouleversé par les conséquences des changements climatiques ?
Edmond Totin : Le rapport du GIEC montre plusieurs aspects de cette vulnérabilité. Tout d’abord, l’agriculture est un secteur majeur pour le continent, et subit de plein fouet les problématiques liées au réchauffement climatique. C’est même le secteur le plus sensible, lorsque l’on voit la répartition des pluies, ou des cultures majeures comme le maïs, consommé un peu partout, ou le blé au nord de l’Afrique. Les rendements de ces cultures baissent significativement, malgré le fait que la recherche travaille sans cesse pour mettre en place des variétés plus résilientes. Depuis 1960, on a vu que les rendements agricoles chutent significativement.
Après, il y a des maladies comme le paludisme, qui désormais apparaissent dans des zones qui ne connaissaient pas ces maladies autrefois. L’érosion côtière aussi va toucher des pays de l’Afrique de l’Ouest, du Sénégal jusqu’au Bénin. Des gens qui étaient installés dans certaines zones, désormais touchées par l’érosion côtière, sont obligés de se redéployer ailleurs. Voilà autant de façons dont les gens subissent les affres du climat.
La santé des Africains fragilisée
- Selon le rapport, l’augmentation des températures risque de mettre à mal la santé des personnes vivant sur le continent africain.
- « Au-dessus de 2°C de réchauffement climatique, la répartition et la transmission saisonnière de maladies à transmission vectorielle (Ndlr : paludisme, dengue, fièvre jaune, …) risque d’augmenter« , écrivent les experts du GIEC.
- « Cela va exposer des dizaines de millions de personnes, principalement à l’ouest du continent, à ces maladies », poursuit le rapport.
- Par ailleurs, ils estiment que si la température globale augmente de plus d’1,5°C, 15 personnes de plus mourront de ces maladies sur le continent pour 100 000 personnes.
TV5MONDE : Et quelles sont les raisons de cette vulnérabilité ?
Edmond Totin : C’est fondamentalement dû à la capacité d’adaptation du continent africain, et non pas à son positionnement géographique. Par exemple, on prend deux personnes qui subissent un accident de voiture, à la même intensité. Ce qui fait que les gens vont se remettre sur pied rapidement, c’est la solidité, mais il y a aussi le système de protection qui l’entoure. Cela comprend une assurance santé, la disponibilité du plateau technique pour réaliser les soins, la solidarité de la famille… Si l’autre individu n’a pas ces facilités, il ne va pas se remettre aussi rapidement. C’est un peu la même situation pour l’Afrique.
Le comble, c’est quand on regarde un peu le maillage météorologique, qui est censé récupérer des informations sur le climat en temps réel pour faciliter la prise de décision. 54% de ces systèmes déployés sur le continent ne peuvent pas collecter des données en temps réel.
Un autre paramètre technique à prendre en compte est celui des infrastructures. Si de nombreux pays du continent africain sont touchés par des inondations, c’est parce que les infrastructures pour évacuer l’eau, à savoir les caniveaux, sont soit sous-dimensionnées ou mal entretenues. C’est aussi parce qu’elles ont été construites à un moment donné où on ne pensait pas que la population allait augmenter aussi rapidement. Il y a un pays où chaque année, ce problème revient, c’est le Ghana.
Au niveau de la santé aussi, il y a des lacunes. Comme je le disais tout à l’heure, le paludisme fait des victimes dans des zones où la maladie n’était pas présente auparavant. C’est parce qu’avec la hausse des températures, les moustiques porteurs du paludisme vont se développer dans ces régions. Or, il n’y a pas toujours de systèmes sanitaires efficaces dans nos pays.
TV5MONDE : Y a-t-il des solutions pour améliorer la capacité d’adaptation du continent ?
Edmond Totin : Dans le dernier rapport du GIEC, on a proposé un certain nombre de solutions. Il y a par exemple les programmes de protection sociale, qui passent par les couvertures et les assurances pour permettre aux gens de mieux faire face aux catastrophes.
En ce qui concerne l’agriculture, il y a la diversification de l’agriculture. Il s’agit de ne plus faire qu’une seule culture, mais d’en faire plusieurs et de réduire les champs. De manière similaire, il y a la diversification des moyens de subsistance. On sait que l’agriculture est un domaine très sensible. Alors, comment faire pour ne pas se reposer que sur l’agriculture ? Ça passe par des emplois dans d’autres domaines.
Des revenus dépendants du climat
- Le rapport du GIEC souligne aussi que le travail de nombreux Africain dépend de la terre.
- « Entre 55% et 62% de la force de travail en Afrique subsaharienne est employée dans les secteurs agricoles et 95% des terres cultivées ont besoin de la pluie« , écrivent les experts dans le rapport.
- Aussi, les experts affirment que « limiter l’augmentation de la température globale à 1.5°C est susceptible d’avoir un impact positif sur le PIB par habitant dans toute l’Afrique.«
Pour que tout cela puisse se mettre en place, il faut qu’il y ait un environnement institutionnel favorable. Cela passe par les décideurs politiques. Il y a beaucoup de jeunes originaires du continent africain qui vivent dans des pays européens, non pas parce qu’ils y trouvent de l’or, mais parce qu’il n’y a pas la place dans les pays africains pour permettre aux jeunes d’expérimenter de nouvelles choses. Il faut sensibiliser les politiques à créer un espace institutionnel favorable.
Dans certains pays, certaines personnes utilisent la direction du vent ou le comportement des animaux pour prédire les événements météorologiques à venir.Edmond Totin, expert coordinateur du GIEC
Enfin, l’agriculture agro-écologique est un atout majeur. On va parler par exemple de maillage. Il s’agit d’utiliser les résidus d’une récolte pour que cela réduise le temps d’évaporation de l’eau et faire en sorte que les sols restent plus humides. On va parler des plantes de couverture pour protéger les sols aussi bien de l’érosion que de l’évaporation. Et encore, il ne faut pas oublier le savoir-faire local. Tout à l’heure, je disais que 54% des stations météorologiques ne sont pas à même de transmettre les informations en temps réel. Dans certains pays, certaines personnes utilisent la direction du vent ou le comportement des animaux pour prédire les événements météorologiques à venir. Il faut savoir tirer profit de ces savoirs.
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