C’est l’un des grands projets mis en avant à la COP 15 de l’ONU sur la désertification qui a lieu en ce moment à Abidjan : la Grande muraille verte qui prévoit de restaurer la végétation sur une bande de 15 km de large qui traverse l’Afrique d’Ouest en Est, de Dakar à Djibouti à travers 11 pays et 7 800 km. Il ne s’agit pas simplement de planter des arbres, mais aussi de développer durablement ces zones et de créer des emplois dans l’agriculture notamment.
Ce projet titanesque a été lancé officiellement en 2007 par les pays africains pour l’Afrique, mais il peine à décoller. Depuis 15 ans, l’aménagement de la Grande muraille verte n’a couvert que 4 millions d’hectares sur les 100 millions d’hectares envisagés initialement, alors que 135 millions de personnes au Sahel sont affectées par la désertification et la perte de fertilité des sols. Pour Gilles Boëtsch, directeur de recherche émérite au CNRS et directeur d’un observatoire scientifique de suivi de la Grande muraille verte, « l’échec relatif du projet peut être expliqué par plusieurs facteurs ».
D’abord, l’impact du réchauffement climatique dans une zone déjà très aride. « La pluviométrie est en chute » note le chercheur. De plus, « la pression anthropique est extrêmement forte avec les élevages et les troupeaux, seul moyen pour les gens de survivre économiquement. Et les animaux mangent les jeunes pousses ». Et puis « évidemment, ce sont des zones de guerres extrêmement violentes, c’est difficile d’aller planter des arbres quand les gens se tirent dessus » !
« Un laboratoire » pour lutter contre la pauvreté
Pendant longtemps aussi, le projet a manqué de financements, de moyens humains, de suivi. Les Etats ne s’impliquent pas tous suffisamment. Pourtant, il est encore présenté comme LA grande solution africaine à la désertification.
En effet, l’initiative est globale. En plus de la protection de l’environnement et la séquestration de CO2 – gaz à effet de serre, premier responsable du changement climatique -, elle vise aussi à lutter contre la pauvreté et nourrir la population. L’idée est de mettre en place des techniques agricoles adaptées aux zones arides avec des espèces de plantes locales qui supportent ce climat particulier et qui permettent des retombées économiques : la gomme arabique, la spiruline, l’artémisine… Ces espèces seront couplées à du maraîchage.
Regain d’intérêt politique
Pour l’instant, seulement quelques petits aménagements ont été réalisés, perdus dans l’immensité de la zone à couvrir. Pourtant Abakar Mahamat Zougoulou, directeur technique et scientifique de l’agence panafricaine de la Grande muraille verte, est sûr du succès du projet. « Ce n’est pas uniquement une plantation d’arbres tous azimut. La Grande muraille verte, c’est créer des zones de prospérité économique. C’est un laboratoire à ciel ouvert où des techniques sont en train de faire leurs preuves », estime-t-il.
Il cite des exemples de pâturages sous couvert forestier, des orangeraies dans la région d’Agadez au Niger ou des pommeraies au Tchad. Des innovations qui, selon lui, « apportent des solutions à l’Afrique sur les questions de sécurité alimentaire et également aux problèmes d’insécurité qui sont observés actuellement dans le Sahel ».
Développer l’économie locale, limiter ainsi l’immigration et les conflits… De quoi convaincre la communauté internationale, qui a promis l’année dernière près de 20 milliards d’euros en tout de financement.
Coordonner une multitude d’acteurs
Ce regain de volonté politique et les promesses de financements ne seront cependant pas suffisants. Aucun nouveau fond n’a encore été débloqué. Les bailleurs privilégient les échanges bilatéraux et attendent que leur soient présenté des projets clairs et structurés et ce n’est pas le cas pour l’instant. La Grande muraille verte est une opération titanesque qui traverse le continent. Difficile de coordonner les actions entre les multiples acteurs impliqués et d’associer les populations locales.
C’est d’ailleurs le grand défi pour que la Grande muraille verte puisse être un jour une réussite selon le chercheur à l’IRD Dominique Masse. « La volonté politique, elle y est, constate-t-il. Maintenant, il faut vraiment travailler avec les acteurs locaux : la population, les agriculteurs et agricultrices, les jeunes, les associations de femmes, etc. Pour que les solutions soient construites avec eux. C’est un grand programme ambitieux. Cela demande aussi des concertations internationales, de multiples acteurs qui peuvent avoir un intérêt dans ces zones. Donc, c’est une complexité importante et cela explique la difficulté pour que cela se mette en place. »
Chercheurs, ONG, entrepreneurs et politiques doivent donc encore réussir à se mobiliser en bonne entente avec les communautés locales. Ceci dit, malgré ses défaillances et son bilan mitigé, la Grande muraille verte est tout de même source d’inspiration pour d’autres projets de restauration de terres similaires en Afrique australe ou au Maghreb qui sont en cours de développement.
rfi.fr