Observer la Terre depuis l’espace est devenu un levier incontournable pour protéger notre planète. En particulier, son champ de gravité révèle des informations cruciales sur la répartition de l’eau et les mécanismes qui régissent le climat : par exemple, lorsqu’un glacier fond ou que la mousson s’abat sur un continent, la répartition de masse et donc le champ de gravité changent.
Pour affiner les mesures du champ de gravité terrestre, une révolution technologique pourrait émerger grâce aux technologies quantiques.
C’est ce défi ambitieux que la mission spatiale CARIOQA se propose de relever, en envoyant en orbite le tout premier accéléromètre quantique, une étape clé vers les missions de gravimétrie spatiale de nouvelle génération. Le projet termine en cette fin d’année sa phase de faisabilité, avec un lancement prévu à l’horizon 2030.
Les missions de gravimétrie spatiale
Le champ de gravité terrestre varie selon les régions et fluctue au fil du temps. Son étude est essentielle dans des domaines variés comme la géophysique (suivi des mouvements tectoniques), l’océanographie (suivi du niveau des océans) et la navigation (guidage des bateaux et sous-marins).
Avant l’avènement de la gravimétrie spatiale, les mesures terrestres de gravité étaient locales et limitées en couverture, sans possibilité de surveiller globalement et continuellement les variations du champ gravitationnel.
Dès les années 2000, la mission spatiale CHAMP a permis de mesurer la gravité grâce à un satellite en orbite équipé d’un accéléromètre. En effet, la position d’un satellite en orbite dépend du champ de gravité terrestre et d’autres types d’accélérations, liés par exemple aux frottements de l’atmosphère.
Ainsi, pour mesurer avec précision le champ de gravité terrestre et ses variations, on mesure précisément la position du satellite CHAMP grâce au GNSS (technologie du GPS), que l’on corrige grâce à un accéléromètre embarqué mesurant les effets non gravitationnels subis par le satellite.
En 2002, la mission GRACE (Gravity Recovery and Climate Experiment) a fourni les premières cartes temporelles du champ gravitationnel terrestre, grâce à deux satellites en orbite basse, chacun équipé d’un accéléromètre. Suivant la variation de distance entre les deux satellites et en rejetant les accélérations non gravitationnelles, on déduit les fluctuations du champ gravitationnel. En 2018, des scientifiques ont encore amélioré la précision de la mesure de distance entre les deux satellites grâce à un interféromètre laser embarqué dans la mission GRACE Follow-On.
La restitution du champ de gravité à l’échelle globale offre des perspectives nouvelles dans le domaine des sciences de la Terre, permettant une meilleure compréhension et anticipation du changement climatique.
Les accéléromètres quantiques : une rupture technologique pour mesurer le champ de gravité
Les missions de gravimétrie spatiale actuelles reposent sur la mesure des accélérations non gravitationnelles à l’aide d’accéléromètres de précision. Ces instruments mesurent les mouvements d’une masse test, par exemple d’un cylindre en métal d’environ quelques centaines de grammes, pour détecter avec précision les forces en jeu. Aujourd’hui, des chercheurs peuvent appliquer ce principe en remplaçant cette masse par un nuage d’atomes gazeux dans le vide, manipulé par des lasers, afin de développer des accéléromètres quantiques.
L’apport de la physique quantique réside dans la stabilité exceptionnelle de la mesure dans le temps : à l’instar des horloges atomiques, les accéléromètres quantiques utilisent les propriétés internes des atomes pour offrir une précision qui reste constante, contrairement aux accéléromètres classiques, dont les mesures ont tendance à dériver.
Dans une chambre à vide, des chercheurs piègent un gaz d’atomes de rubidium et ralentissent les mouvements des atomes au sein du nuage à l’aide de lasers contrôlés très précisément. La réduction de la vitesse des atomes entraîne une baisse de la température, ce qui donne lieu à des nuages d’atomes froids. Dans ces conditions extrêmes, proches du zéro absolu, les atomes révèlent un comportement régi par les lois de la physique quantique : la matière se comporte comme une onde. À la manière des vagues à la surface des océans, les ondes de matière peuvent s’ajouter ou s’annuler pour créer un phénomène d’interférences quantiques.
Technologie des interféromètres atomiques
La technologie des interféromètres atomiques, qui reposent sur ce principe, sera utilisée pour mesurer l’accélération à bord de CARIOQA. Des impulsions laser sont utilisées pour diviser, manipuler et recombiner des atomes froids en chute libre, créant ainsi des interférences qui contiennent l’information d’intérêt pour la mesure : l’accélération relative entre le nuage d’atomes, en chute libre dans la chambre, et le champ laser qui l’interroge.
Si, aujourd’hui, les performances des gravimètres quantiques sont meilleures que celles des gravimètres classiques dans certaines conditions (meilleure résolution des basses fréquences spatiales par exemple), elles ne sont pas toujours simples à estimer.
CARIOQA : une mission de démonstration pour combler le fossé technologique
Des chercheurs étudient les accéléromètres atomiques en laboratoire depuis les années 1990, démontrant leur capacité à développer la navigation inertielle lors de tests de physique fondamentale en avion et à étudier la gravité sur les pentes de l’Etna.
La prochaine étape ? L’orbite terrestre !
Le projet CARIOQA, démarré en 2022, vise à démontrer la viabilité de cette technologie à bord d’un satellite, préparant les futures missions de gravimétrie spatiale. Ce projet ambitieux réunit 17 partenaires, dont les agences spatiales française et allemande (CNES et DLR), des acteurs industriels comme Airbus, Exail, Teletel et Leonardo, ainsi qu’un consortium de laboratoires européens. Le premier volet de CARIOQA permet de développer un prototype en vue de l’instrument final, destiné aux phases de vol.
C’est en combinant les expertises des agences spatiales, de l’industrie et des laboratoires que l’Europe se place à la pointe de cette révolution technologique, ouvrant la voie à une nouvelle ère d’exploration et de compréhension de la gravité terrestre.