Plusieurs pays africains pourraient profiter du conflit en Ukraine et des sanctions sur la Russie pour exporter leur gaz, mais cette stratégie n’est pas sans risque, observe Marie de Vergès, journaliste au « Monde », dans sa chronique.
Chronique. « Nous ne voulons pas être vus comme des profiteurs de guerre. » Cette remarque du ministre de l’énergie tanzanien, January Makamba, interrogé fin mars par le Washington Post, peut surprendre. Depuis le déclenchement des hostilités entre la Russie et l’Ukraine, les pays africains semblent avoir bien plus à perdre qu’à gagner. Les ménages doivent affronter une nouvelle vague inflationniste, et le risque de crise alimentaire est démultiplié à travers le continent.
Mais comme toute guerre, le conflit entrepris par Vladimir Poutine peut aussi produire des effets d’aubaine. Et la question qui agite ces jours-ci M. Makamba comme d’autres spécialistes du secteur énergétique est la suivante : le gaz africain pourrait-il suppléer, voire supplanter, l’offre russe ? L’équation est simple. L’Union européenne fait venir de Russie 40 % de ses importations gazières. Une dépendance toxique dont elle voudrait bien s’affranchir. En face, l’Afrique possède certaines des plus grandes réserves de gaz naturel du monde, le plus souvent inexploitées.
Des infrastructures vieillissantes
« L’Europe cherche des sources alternatives d’approvisionnement en gaz. Cela peut être en Afrique », a résumé fin mars Akinwumi Adesina, le patron de la Banque africaine de développement. Nigérian, M. Adesina sait de quoi il parle. Son pays d’origine, premier producteur de pétrole du continent, détient de vastes réserves de gaz.
Un projet de « gazoduc transsaharien » est censé connecter les champs de production nigérians aux pipelines algériens, en passant par le Niger, sur 4 000 kilomètres, pour ensuite atteindre le marché européen. Sur la table depuis plus d’une décennie, le chantier a été relancé en février. Pour se concrétiser enfin, il a besoin d’argent. Beaucoup d’argent : de 13 à 15 milliards de dollars, selon diverses estimations. Le contexte international peut-il susciter de nouveaux financements ? D’autres pays gaziers espèrent aussi profiter de l’actuelle donne géopolitique, de l’Angola au Mozambique, en passant par le Sénégal ou la Tanzanie. Et l’Algérie, bien sûr, qui fournit déjà 11 % des achats de gaz du Vieux Continent.
Oui, il y a donc une opportunité à saisir pour des pays producteurs, riches en ressources et pauvres en revenus. Prudence, pourtant : ces gisements ne constituent pas une solution miracle pour répondre aux besoins pressants de l’Europe, ni même pour doper les économies africaines. Après des années de sous-investissement, les infrastructures sont, selon les pays, vieillissantes ou inexistantes. Et même en ces temps de crise avec Moscou, les capitaux n’afflueront pas toujours.
Diversification et industrialisation
Un frein évident tient aux problèmes de sécurité. Le tracé du gazoduc transsaharien fournit un exemple éloquent : prenant sa source dans la région du delta du Niger (sud du Nigeria), théâtre d’opérations de sabotage menées par des bandes armées contre les installations pétrolières, il est censé traverser des régions très instables du Sahel, où opèrent des groupes terroristes comme Boko Haram ou Al-Qaïda.
La situation est au moins aussi complexe au Mozambique. Les réserves sous-marines découvertes en 2010 sont de nature à propulser le pays parmi les dix premiers producteurs mondiaux. Mais une insurrection djihadiste a, pour l’heure, gelé la ruée vers le gaz mozambicain. Elle a notamment poussé le groupe TotalEnergies à suspendre, il y a un an, un mégaprojet de gaz naturel liquéfié (GNL) évalué à plus de 15 milliards d’euros, dans la province septentrionale du Cabo Delgado.
Une autre question se pose, plus fondamentale, sur un continent où de nombreux pays dépendent déjà à l’excès des ressources de leur sous-sol. L’histoire montre que ces actifs se convertissent rarement en gains pour les populations. Depuis plusieurs années, les discours politiques promeuvent une ambition de diversification et d’industrialisation. Mais comme le résume le directeur du département Afrique du Fonds monétaire international (FMI), Abebe Aemro Selassie : « Si le gaz se met à attirer une vague de nouveaux investissements, comment s’assurer que cet objectif ne sera pas oublié ? »
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