Sur un continent où la scolarisation de masse est plus récente qu’ailleurs, les graves conséquences des fermetures d’établissements liées à la pandémie peuvent être irrémédiables, alerte Marie de Vergès, journaliste au « Monde », dans sa chronique.
Chronique. Début 2020, ils empruntaient tous les jours le chemin de l’école. Depuis, la pandémie de Covid-19 est passée par là, et certains sont devenus travailleurs au champ, vendeurs de rue ou trop jeunes épouses… C’est l’un des drames de la crise sanitaire dans les pays en développement. Particulièrement en Afrique, le continent le plus pauvre du monde, où les fermetures d’écoles, même temporaires, ont laissé des traces indélébiles, et parfois scellé l’avenir des plus jeunes.
« Les pays où le risque d’abandon scolaire est le plus élevé sont ceux où les enfants avaient de faibles niveaux de compétence », a alerté l’Unesco dans un rapport publié le 26 mars pour avertir du risque de « catastrophe générationnelle ». C’est le cas de la zone subsaharienne où seul un enfant sur cinq maîtrisait la lecture en primaire avant l’arrivée du virus, pointe l’agence onusienne.
La suspension des cours a été disparate à l’échelle du continent. Des pays comme le Bénin ou Madagascar ont fermé leurs écoles à peine dix semaines, contre quarante-six en Angola. Au Ghana ou au Kenya, aucun établissement n’a accueilli d’élèves entre mars 2020 et janvier 2021, soit quasiment dix mois d’interruption. Et à Nairobi, la capitale kenyane, les primaires et les collèges viennent déjà de refermer alors qu’une nouvelle vague épidémique est en train de monter. Au total, 250 millions d’élèves subsahariens ont été affectés en 2020.
L’enseignement à distance, une gageure
Difficile d’incriminer les pays africains qui ont pris des mesures drastiques. Bien des raisons y poussaient : la peur face à un virus traversant les frontières à toute allure, la faiblesse des systèmes de santé locaux, l’impossibilité d’établir des protocoles sanitaires dans des classes surchargées et souvent dépourvues d’installations d’hygiène de base.
Mais sur un continent où la scolarisation de masse est plus récente et moins aboutie qu’ailleurs, les conséquences s’annoncent rudes. Déjà parce que l’enseignement à distance y a été une gageure. On a pu s’émerveiller de ces jeunes Sierraléonais suivant une leçon diffusée sur une radio fonctionnant à l’énergie solaire, ou de ces salles de cours virtuelles organisées sur WhatsApp au Cameroun. Mais ces exemples masquent mal la difficulté à maintenir la continuité de l’instruction dans des pays où l’accès à Internet et à l’électricité demeure défaillant. De surcroît au sein de familles ne pouvant agir comme des relais de l’école : selon l’Unicef, un adulte sur trois en Afrique subsaharienne est incapable de lire ou écrire un texte simple.
Surtout, le risque est que l’école n’apparaisse plus comme une priorité à l’heure où la survie économique est en jeu. C’est bien le défi auquel fait face le continent africain qui a connu en 2020 sa première récession depuis un quart de siècle. La Banque africaine de développement estime que 30 millions d’habitants du continent supplémentaires ont déjà basculé dans l’extrême pauvreté du fait de la pandémie. Dans les foyers les plus vulnérables, les jeunes ont été mis à contribution pour aider à joindre les deux bouts.
Des mois d’école manqués se paient toute la vie
Les filles sont davantage menacées. Le précédent d’Ebola en Afrique de l’Ouest (2014-2015) est éloquent. A la fin de cette épidémie qui avait elle aussi entraîné des fermetures d’écoles, la Sierra-Leone avait enregistré un doublement des grossesses adolescentes. De nombreuses jeunes mères n’ont jamais pu retourner en classe. Si les statistiques manquent encore, des associations disent observer les mêmes tendances à l’ère du Covid-19, au Kenya par exemple.
Ces décrochages scolaires ne doivent pas être pris à la légère. La théorie économique a bien démontré à quel point l’éducation est un moteur puissant de la croissance et du développement. A l’inverse, comme l’a calculé la Banque mondiale, plusieurs mois d’interruption dans les études se paient sur les revenus de toute une vie. Le système éducatif nécessite des investissements de longue haleine qu’il peut être tentant, face à l’urgence, de remettre à plus tard. Pourtant ce chantier, aujourd’hui plus qu’hier, doit être la grande priorité du continent le plus jeune du monde.
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