Un an après l’apparition du premier cas, le continent affiche un bilan de près de 100 000 décès, avec un peu plus de 3,7 millions de personnes infectées. Mais en l’absence de dépistage massif, ces chiffres sous-évaluent la réalité.
Un an après l’apparition du premier cas de SARS-CoV-2 en Egypte, le 14 février 2020, le continent s’apprête à franchir le cap des 100 000 décès. Le chiffre, au regard des bilans de l’Europe ou des Amériques, apparaît minime. Avec 1,3 milliard d’habitants, soit 15 % de la population mondiale, le continent n’enregistre que 4 % des victimes de l’épidémie de Covid-19. Officiellement, un peu plus de 3,7 millions de personnes ont été infectées.
La rapidité avec laquelle les gouvernements ont réagi au printemps 2020 pour prévenir la propagation du virus en fermant les frontières et en adoptant des mesures de confinement, la jeunesse de la population, la faible insertion de l’Afrique dans l’économie mondiale et le climat sont parmi les hypothèses avancées pour expliquer cette trajectoire qui a démenti les plus sombres scénarios. Dans un rapport publié en avril, la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA) anticipait un nombre de décès compris entre 300 000 et 3,3 millions en 2020.
La sévérité de la deuxième vague à laquelle sont confrontés 40 pays sur 55a cependant contrarié cette relative sérénité. Le taux de létalité lié au coronavirus en Afrique (2,6 %) est désormais supérieur à la moyenne mondiale et plus d’une dizaine de pays ont déclaré auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) être confrontés à la saturation de leurs structures de santé. Sur le seul mois de janvier, le nombre de décès a fait un bond de 40 %.
Deux fois moins de dépistages qu’en France
« Les chiffres s’emballent. D’un point de vue européen, où le nombre de contaminations se compte en centaines de milliers, ils peuvent paraître encore faibles. Pourtant, ils ne reflètent la réalité que de manière très limitée. Seuls 1 000 à 2 000 tests sont réalisés chaque jour dans des pays de plusieurs millions d’habitants, soit 300 fois moins qu’en Europe. Et une partie concerne surtout les voyageurs », a alerté fin janvier l’ONG Alima, présente en Afrique de l’Ouest.
En dehors des capitales, les moyens de dépistage s’avèrent le plus souvent inexistants. « Il n’existe qu’un laboratoire national à Bamako pour analyser des prélèvements transportés par vols humanitaires depuis Tombouctou, Mopti ou Gao. Seuls les malades présentant des symptômes sont testés. Il est dans ce contexte très difficile d’évaluer la circulation du virus », admet Aimé Makimere Tamberi, chef de mission d’Alima au Mali. Sur l’ensemble du continent, moins d’un million de tests ont été réalisés au cours de la semaine écoulée, soit deux fois moins qu’en France. Et pour une écrasante majorité, seule une poignée de pays (Afrique du Sud, Maroc, Egypte…) en ont bénéficié.
Chaque jour, l’OMS et le Centre de contrôle et de prévention des maladies de l’Union africaine (CDC-Afrique) publient les chiffres des nouvelles contaminations et des décès sur la base des statistiques hospitalières fournies par les Etats.
La Tanzanie, dont le président John Magufuli nie la gravité de l’épidémie, a cessé de transmettre des chiffres fin avril 2020. Le pays comptait alors 509 cas et 21 décès. La présence du variant sud-africain a pu y être repérée dans les tests positifs pratiqués cette semaine sur deux ressortissants tanzaniens en voyage au Royaume-Uni.
Or ce variant, déjà identifié dans sept pays, inquiète au plus haut point les épidémiologistes. Plus contagieux, il serait également, selon une étude menée par l’Université de Witwatersrand (Johannesburg), résistant au vaccin développé par AstraZeneca. Des résultats qui ont conduit le gouvernement sud-africain à suspendre, à peine lancée, sa campagne de vaccinations.
« Personne n’avait été testé avant de mourir »
« Nous ne testons pas tout le monde, mais nous n’avons pas observé de mortalité massive en dehors des cas répertoriés [par les centres de santé] », répond le docteur John Nkengasong, directeur du CDC-Afrique, lorsqu’il est questionné sur la sous-évaluation de l’épidémie. Plusieurs enquêtes conduisent toutefois à s’interroger sur cette réalité.
En Zambie, une étude menée à Lusaka a révélé que 19 % des cadavres reçus par la plus grande morgue de la capitale entre juin et septembre 2020 étaient positifs au SARS-CoV-2. « 364 personnes ont été testées et dix-neuf sont apparues positives ; 70 % étaient des hommes, avec un âge médian de 49 ans, mais il y avait aussi sept enfants. La majorité des décès étaient survenus dans les communautés. Personne n’avait été testé avant de mourir, même si des symptômes du Covid-19 étaient dans certains cas visibles », écrivent Lawrence Mwananyanda et Christopher Gill, chercheurs à l’école de santé publique de l’Université de Boston (Etats-Unis) et auteurs principaux de l’article publié fin décembre 2020 sur la plateforme en ligne MedRxiv.
En Afrique du Sud, l’équipe conduite par Debbie Bradshaw, du South African Medical Research Council (SAMRC), a annoncé, le 10 février, que selon ses calculs menés en prenant pour référence des tendances de mortalité antérieures à la pandémie, les décès supplémentaires enregistrés dans le pays entre mai 2020 et février avoisinent les 137 000, soit plus de trois fois le chiffre déclaré à l’OMS.
Ces publications sont encore l’exception et en l’absence de campagne de dépistage, évaluer la pénétration de l’épidémie sur le continent relève de la spéculation. A fortiori depuis l’apparition des variants, que seuls quelques pays peuvent identifier avec des appareils de séquençage. « Un an après son apparition, nous n’avons toujours aucune idée de l’ampleur de l’épidémie », admet Eric Delaporte, spécialiste des maladies infectieuses au CHU de Montpellier et coordinateur du projet Ariacov. Ce programme, élaboré par l’Institut de recherche pour le développement (IRD) avec des centres de recherche en santé de six pays (Bénin, Cameroun, Ghana, Guinée, République démocratique du Congo et Sénégal), doit notamment permettre de mesurer l’incidence du virus sur des échantillons de 1 400 citadins qui seront testés toutes les six semaines pendant deux ans.
Des Etats contraints d’avancer à l’aveugle
En dehors des villes, la situation est encore plus insondable. Si, a priori, le virus circule moins du fait des moindres densités de population, il n’y est pas pour autant absent.
L’observatoire de Niakhar, situé à 140 km au sud-est de Dakar, au Sénégal, est le plus ancien centre de suivi démographique et de surveillance sanitaire d’Afrique. En l’absence de bons registres d’état civil, une partie de son travail consiste depuis cinquante ans à recenser les décès et à les corréler avec des maladies par des « autopsies verbales » auprès des proches des défunts. « Depuis le début de l’épidémie, nous avons continué de tenir le registre des décès, mais en raison des mesures sanitaires, nous n’avons pas pu mener les questionnaires dans les familles », raconte Cheikh Sokhna, le directeur de l’observatoire : « Ce recensement montre néanmoins qu’il existe une surmortalité et les tests effectués dans le dispensaire ont aussi permis de détecter des cas de coronavirus. »
Le manque de moyens dont disposent les gouvernements pour tester leur population ou mener des études épidémiologiques pose un véritable problème au moment d’élaborer une stratégie vaccinale. « Dans les pays du Nord, la maladie cible en priorité les vieux. Mais ici, ils ne représentent qu’une proportion infime de la population [3 % ont plus de 65 ans, contre 15 % en Amérique du Nord]. Et nous n’avons pas d’informations sur les autres catégories de population », note Eric Delaporte. Faute de réponse, les Etats, contraints d’avancer à l’aveugle, ont en attendant fait le choix de la vaccination pour tous.
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