Cher Professeur, en cette période de l’année j’avais l’habitude d’être sur le terrain avec les camarades du mouvement Karbone 14 à sensibiliser et partager à longueur de journée avec les étudiants pour préparer la commémoration de votre disparition, cette année je suis tombé malade, cloué au lit pendant des jours la frustration et le sentiment d’impuissance m’animent au plus haut point. Mes mains bien que fragiles peuvent encore porter un stylo, ainsi je vous écris cette lettre d’informations non pas pour vous apprendre de nouveaux faits je ne saurais le faire, mais pour soulager ma conscience de vous avoir abandonner un certain 7 Février. Cher Professeur, nous sommes encore une fois en Février, cette année le mois commence par un lundi et s’achève un dimanche.Un mois parfait me dit-on, avec à la clé une succession de quatre semaines complètes.Je ne cherche pas la perfection en ce mois de Février, toute ma démarche s’inscrit dans le triptyque…Information, Formation et Transformation….
INFORMATION
Cher Professeur, 2020 a été une année assez particulière avec la pandémie qui est venue ébranler et remettre en question nos certitudes les plus absolues. J’ai cherché l’information, la bonne information pour prendre la bonne décision dans un moment assez décisif,j’ai failli perdre espoir.En effet, une certaine matinée en Avril dernier, j’aperçus sur Twitter un post sur le président Malgache Andry Rajoelina vidant une bouteille de 33cl. L’article devenu viral en très peu de temps présentait le président malgache tel un sauveur ; un Noé des temps modernes avec son arche qui viendrait nous délivrer. Le débat fut vite soulevé sur la toile autour d’une décoction de plantes appelée Covid-Organics ou Artemisia qui pourrait soigner le coronavirus. Nous avons senti un début de chauvinisme scientifique un peu partout dans le continent africain, le Sénégal au premier rang. De mon côté je priais tout bas pour que cela se concrétise pour en finir le plus tôt possible avec ce virus qui gagnait de plus en plus de terrain.Environ huit semaines plus tard, la Revue Scientifique The Lancet très respectée dans la recherche médicale a, en l’espace de deux semaines, publié deux articles contradictoires.
L’un confirmait l’efficacité de l’hydroxychloroquine utilisé pour prévenir ou traiter l’infection par COVID-19, tandis que l’autre annonçait que l’hydroxychloroquine n’entraînait que peu ou pas de réduction de la mortalité des patients atteints de COVID-19. A couteaux tirés, les médecins et chercheurs essayaient de défendre tant bien que mal leurs arguments. La controverse a été à la hauteur des enjeux sanitaires et géostratégiques, d’un côté le Dr. Didier Raoult qui disqualifiait les études de la revue et de l’autre le Dr. Mandeep Mehra qui défendait avec virulence The Lancet.Cher Professeur, ces deux observations m’ont poussé à analyser la pandémie dans une dimension africaine, sous votre lorgnette peut-être un peu déformante pour parler comme Kéba Mbaye. La création du Laboratoire de datation au radiocarbone entre1965et 1966 (avec Theodore Monod et Vincent Monteil) que vous avez dirigé jusqu’à votre disparition, est très significative. Un moment fort dans l’histoire du Sénégal, plus particulièrement par rapport à l’importance accordée à l’enracinement des sciences en Afrique.
La rupture épistémologique que vous avez opérée nous a propulsée à bras le corps sur les enjeux de s’organiser au niveau continental sur le plan sanitaire. Dans votre article‘’Comment enraciner la Science en Afrique’’ (Bulletins de l’IFAN, 1975), vous nous exhortez à tirer les conclusions pratiques de tant d’années d’études des problèmes africains, de les ramasser en formules aussi claires que possible afin d’en faciliter l’utilisation. En guise de réponse à l’expérimentation du covid-Organics la création d’un centre de recherche à l’échelle africaine s’impose pour explorer et proposer des débuts de solutions médicales et faire de la veille stratégique pour se préparer à une éventuelle pandémie dans les prochaines décennies. Quant à la Revue The Lancet, l’Afrique doit en termes de réplique créer une revue africaine de médecine bien enracinée dans nos réalités (médecine traditionnelle) avant d’étendre ses tentacules aux quatre coins de la planète pour échanger les bonnes pratiques. L’information c’est le savoir et le savoir c’est le pouvoir.
FORMATION
Cher Professeur, après l’information j’aimerai vous faire part de mon inquiétude liée à la formation. L’Université de Dakar est en train de devenir le lieu par excellence de la médiocrité, le binôme consommation et restitution règne en grands maitres. L’activité principale des professeurs se résume à une dictée préparée, les curricula des années 80 sont toujours servis à des étudiants consommateurs qui s’empressent de régurgiter les informations pendant les examens espérant valider une année qui est perdue d’avance. Cher Professeur, vous êtes très souvent cité par les étudiants entre deux discussions, ‘’à formation égale, la vérité triomphe’’ disent-ils. Malheureusement très peu de personnes ont pris la peine de bien analyser cette citation. Être à formation égale; revient à comprendre que des savoirs doivent surgir d’Afrique pour parler comme Jean Marc Ela. Les épistémologies du Sud restent un champ presque vague et vide en termes de réflexion et de production.
Les Ateliers de la Pensée en sont une parfaite illustration, en effet la grande majorité des penseurs de ce rendez-vous du donner et du recevoir interviennent,à temps plein,hors du continent Africain(à l’exception d’Achille Mbembe). Une décolonisation des Humanités ne peut en aucun cas être effective si l’outillage conceptuel est forgé loin des réalités socioéducatives du continent. Cher Professeur, j’ai appris à votre contact que le groupe de mots ‘’à formation égale’’doit éveiller en nous la capacité transformatrice et la reprise de l’initiative historique qui nous permettraient de bâtir des savoirs.Toutefois, il est important de souligner que le problème de la formation est doublement complexe parce qu’il évoque et convoque l’institution. La police intellectuelle expression que j’emprunte à Martial ZeBelinga, bras armé de l’institution, construit les paradigmes d’un côté et ordonne les silences de l’autre.Dès lors il est carrément absurde de penser que quelques chercheurs isolés peuvent apporter un changement sans la collaboration de l’institution. La formation c’est l’installation et l’activation des mécanismes de réflexion et de production en soi-même.
TRANSFORMATION
Cher Professeur, je dis souvent aux camarades étudiants que l’acceptation et l’assimilation d’une information nous mène vers le savoir, si ce savoir est associé à l’expérience, au vécu et à la pratique il se transforme en savoir-faire. Le savoir-faire,guidé par le savoir-être(l’élégance comportementale)fait naitre en nous le savoir-devenir. La transformation passe par le savoir-devenir, hélas la plupart de vos disciples s’accrochent toujours à quelques phrases culte assénées par ci, déclamées par là pour se faire bonne conscience. Cher Professeur, je retiens que le remembrement historique et la décolonisation épistémique doivent être pris dans un ensemble pour mieux valoriser votre travail.
Contrairement à Gaston Berger, je m’interroge sur le sens et la valeur de l’histoire, mais je m’inscris par la même occasion dans une logique prospective. La prospective selon Gaston Berger ne s’agit pas essentiellement de nouveaux problèmes à traiter, mais de structures sociales à instituer et d’un nouvel état d’esprit à créer. Il me semble hautement pertinent de coupler les démarches des parrains des deux plus grandes universités du Sénégal dans l’approche et la démarche des étudiants qui ont la lourde tache de bien gérer le legs des intellectuels précurseurs. Cher Professeur, vous disiez dans votre article ‘’Vers une Idéologie Politique Africaine’’ (Février 1952) qu’on doit lutter pour des idées et non pour des hommes, vos idées sont porteuses d’espoir et peuvent dans une objectivité scientifique créer la transformation. La transformation vient après l’information et la formation. Cher Professeur, vous êtes si près et vous êtes si loin….
Monsieur Saliou DIOP Doctorant à l’UCAD
Chargé de Communication Mouvement Karbone 14