L’Afrique face à sa deuxième vague (1). Ce pays d’Afrique de l’Ouest est confronté à une importante recrudescence des contaminations depuis début janvier.
Au Ghana, le coronavirus circule plus vite mais toujours en silence. « Ici, quand on dit “Covid”, les gens pensent tout de suite au sida, confie une malade sous couvert d’anonymat. Tout ce qui est infectieux est perçu comme sale et honteux. » La jeune femme de 37 ans estime avoir attrapé le Covid-19 deux semaines plus tôt, et souffre pour l’instant de peu de symptômes. « Moi, j’ai de la chance, mais je suis inquiète pour les autres. On voit maintenant beaucoup de jeunes qui développent des formes graves de la maladie », affirme-t-elle.
A parcourir les rues d’Accra, la capitale ghanéenne, on en oublierait pourtant rapidement l’existence de la pandémie mondiale : le masque est rarement porté, les commerces et marchés sont ouverts et la nuit, la fête continue dans les bars bondés. En 2020, on pensait savoir que le Covid-19 tuait surtout les personnes âgées : or, au Ghana, la moitié de la population a moins de 21 ans.
Mais, depuis quelques jours, l’inquiétude commence insidieusement à gagner la jeunesse, qui s’était laissée bercer par un sentiment d’invincibilité. Plusieurs établissements, comme le Firefly, une institution parmi les clubs accréens, ont fermé leurs portes pour quelques semaines, par mesure de prudence. « Je n’ai pas arrêté de sortir mais maintenant, je choisis les lieux différemment, témoigne un habitué du Firefly. Moins de clubs et de bars, plus de plages et de soirées en plein air. Je connais beaucoup de gens qui ont eu le Covid, alors j’essaie d’être un peu plus prudent. »
Déferlante meurtrière
Car le doute n’est plus permis désormais : le Ghana subit de plein fouet sa deuxième vague épidémique. Dans son 22e discours télévisé consacré à l’évolution de la crise sanitaire, dimanche 17 janvier, le président Nana Akufo-Addo a annoncé des statistiques « particulièrement inquiétantes ». Le nombre de cas actifs, a-t-il indiqué, a plus que doublé en deux semaines, passant de 900 à 1924, tandis que le nombre de cas critiques est passé de 0 à 33. Depuis, les chiffres n’ont pas cessé de grimper. Alors que le Ghana oscillait depuis septembre entre une cinquantaine et une centaine de contaminations par jour, il lui arrive désormais de dépasser les 600 nouveaux malades quotidiens. « Nos centres de traitement Covid-19, qui étaient vides, sont désormais remplis en raison de la recrudescence des infections, a déclaré le président. A ce rythme, nos infrastructures de santé vont être débordées. » Le 19 janvier, le centre médical de Nyaho, submergé par l’afflux de malades du Covid-19, a ainsi annoncé le transfert de tous les autres patients vers les hôpitaux voisins.
Jusqu’à présent, le Ghana n’a recensé officiellement que 367 morts. Mais, chez les épidémiologistes, cette nouvelle vague fait ressurgir les inquiétudes du mois de mars, lorsque l’Afrique de l’Ouest se voyait prédire une déferlante meurtrière du Covid-19. « Dans certains pays, comme au Mali, on atteint désormais des nombres de cas et de décès supérieurs à la première vague, avec un impact plus important sur les systèmes de santé, met en garde Yap Boum, représentant régional pour Epicenter Africa, la branche recherche de Médecins sans frontières (MSF). Ce qui peut s’expliquer en partie par une rigueur plus importante lors de la première vague, où les pays africains étaient bien préparés et la communauté plus engagée face à cette nouvelle maladie. »
Plus préoccupant encore, Nana Akufo-Addo a reconnu que « certains passagers [arrivant au Ghana] ont été testés positifs aux nouveaux variants du Covid-19 ». Des travaux sont en cours pour déterminer leur présence et l’étendue de la propagation au sein de la population. Les résultats du séquençage des souches circulant en Afrique n’ayant pas encore été entièrement divulgués, impossible pour l’instant de savoir de quels variants il s’agit. La souche sud-africaine a déjà été détectée au Botswana, en Gambie et en Zambie et la souche britannique en Gambie, tandis qu’un nouveau variant serait apparu au Nigeria. « Il n’est pas exclu d’avoir de nouveaux variants spécifiques au Ghana ayant leurs propres particularités », s’inquiète Yap Boum.
« A tout âge »
La prévalence nouvelle de cas sérieux chez des patients jeunes sans antécédents médicaux fait tiquer les médecins. « Depuis le début de l’épidémie, le Covid-19 frappe à tout âge, rappelle le docteur Isaac Adomakoma, à l’hôpital universitaire Korle-Bu d’Accra. Mais, cette fois-ci, les cas graves sont répartis différemment. Lors de la première vague, la plupart des patients sévèrement touchés étaient des personnes âgées avec comorbidités, tandis que les jeunes en bonne santé s’en sortaient généralement avec peu de symptômes, voire aucun. Or la seconde vague atteint désormais sévèrement des personnes jeunes sans comorbidités, parfois même mortellement. Si on ne respecte pas strictement les protocoles sanitaires, cette seconde vague risque de faire des ravages au sein de cette population. »
Cette augmentation des contaminations tombe particulièrement mal : les écoles viennent de rouvrir au Ghana après dix mois de fermeture, en théorie dans le strict respect des protocoles sanitaires. En pratique, les effectifs des classes sont souvent trop élevés pour maintenir la distanciation sociale, en particulier dans les quartiers pauvres, et les gestes barrières (port du masque, désinfection des mains) sont mal assimilés par les étudiants.
Certains parents d’élèves, comme le député de l’opposition Sam Nartey George, ont d’ores et déjà annoncé qu’ils ne renverraient pas leurs enfants à l’école. Selon le ministre de l’information Kojo Oppong Nkrumah, si la situation venait à s’aggraver encore, le Ghana pourrait décréter un nouveau confinement.
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