Il nous faut créer du lien intergénérationnel et intra-sectoriel entre nos entrepreneurs à succès et nos aspirants, favoriser les cercles de mentorats professionnels et les temps d’échange entre «jeunes» entrepreneurs, investisseurs et gouvernants.
Il est de notoriété publique que la conjoncture économique est mauvaise partout dans le monde, y compris sur le continent africain. Selon la Banque mondiale, son taux de croissance devrait chuter brutalement, passant de 2,4 % en 2019 à une fourchette comprise entre – 2,1 et – 5,1 % en 2020. La première récession de la région depuis plus de 25 ans. Une inquiétude économique croissante s’est ajoutée à la peur liée à la pandémie, qui a nécessité des infrastructures sanitaires… dont le continent manque encore. Tandis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) préconise un ratio de 7 médecins et de 30 lits d’hôpital pour 10 000 habitants, l’Afrique subsaharienne n’en compte respectivement qu’un et 10 pour le même nombre de potentiels patients.
Néanmoins, malgré ces lacunes, notre Afrique a su se montrer résiliente face à la crise. Le continent dans son ensemble affiche un peu plus d’un million de cas confirmés. C’est moins que les États-Unis, le Brésil et l’Inde et à peine plus que la Russie. Les seuls États-Unis comptabilisent 183 258 décès liés au Covid-19, contre près de 29 652 sur tout le territoire africain. Loin d’être tirés d’affaire, nous pouvons cependant nous féliciter de ce bilan. Un bilan permis par un certain nombre de facteurs : la réactivité des dirigeants africains, l’expérience acquise des épidémies précédentes…
Mais peut-être notre plus grand atout réside-t-il dans notre jeunesse. 60 % des Africains ont moins de 25 ans, avec un âge médian autour de 19 ans et une faible densité de population selon la Fondation Mo Ibrahim. Du point de vue sanitaire, il s’agit d’une force non négligeable – les « jeunes » étant statistiquement moins touchés par la pandémie. Mais d’un point de vue économique et en prenant en compte la récession qui nous guette, la jeunesse semble faire notre force, une fois de plus.
Selon l’ONG Oxfam, la crise liée à la pandémie pourrait entraîner la suppression de près de la moitié des emplois sur le continent. Pour faire face à cette déflagration, il est crucial de stimuler l’entrepreneuriat et l’innovation, notamment auprès des « jeunes ». D’autant plus que la population africaine est en très forte progression – les analystes anticipent un doublement d’ici à 2050 – ce qui devrait se répercuter sur la proportion de « jeunes ». En 2017, la Banque africaine de développement (BAD) affirmait que les économies africaines se devaient de créer au moins 450 millions d’emplois sur les 20 prochaines années pour subvenir aux besoins de leurs populations. Or, selon la Banque mondiale, l’augmentation de « la population en âge de travailler représente une opportunité majeure de réduire la pauvreté et d’accroître la prospérité partagée ». Dans un tel contexte, accentué par la crise, la jeunesse africaine se révèle être une opportunité à saisir… avant qu’elle ne devienne une bombe à retardement.
Le continent est riche de sa jeunesse, mais doit l’encadrer et la soutenir pour lui permettre de libérer son plein potentiel, notamment grâce à des politiques publiques audacieuses visant à accompagner leur prise de risque et leur épanouissement. La formation figure parmi les premiers outils. Il nous faut créer du lien intergénérationnel et intra-sectoriel entre nos entrepreneurs à succès et nos aspirants, favoriser les cercles de mentorats professionnels et les temps d’échange entre « jeunes » entrepreneurs, investisseurs et gouvernants. Pour plus d’efficacité, encourageons ce type d’échanges dès l’école primaire et secondaire ! À ce titre, notons l’initiative des Entretiens de l’Excellence qui organise des rencontres mensuelles entre des modèles de réussite et des jeunes étudiants de Brazzaville, Tunis ou encore Abidjan, afin de nourrir leur réflexion et susciter des vocations.
Sur le plan financier, des mécanismes de garantie de prêt analogues aux garanties partielles de crédit (GPC) ou garanties partielles de risques (GPR) proposées par la Banque africaine de Développement pourraient être imaginés. Ces dernières ne couvrent actuellement que les actions et engagements contractuels d’un État ou de ses organismes. Ils pourraient cependant être dupliqués au niveau microéconomique, avec l’appui gouvernemental et la mobilisation des banques commerciales. Ces outils auraient pour bénéfice de faciliter l’emprunt jeune et de lutter contre le phénomène des prêteurs clandestins aux taux rédhibitoires – jusqu’à 30% – condamnant parfois les jeunes entreprises avant leur première année de rentabilité. De même, des Fonds comme Afric’innov ou le YEI Trust Fund, dont l’ambition est de fournir les financements nécessaires aux frais de débuts de parcours des jeunes entrepreneurs que les banques commerciales considèrent trop risqués, devraient être encouragés et mis en avant par les pouvoirs publics.
La jeunesse sera le moteur de l’épanouissement de l’Afrique. Elle se révèle d’autant plus indispensable en ces temps de crise qu’une grosse partie de l’effort économique devra reposer sur elle. Pour cela, elle a besoin d’être accompagnée, dans le but de capitaliser sur son esprit d’initiative, son sens de l’innovation et son appétence pour l’entrepreneuriat – qui doivent tous trois être stimulés par des politiques ciblées et ambitieuses. Ces dernières représentent un coût auquel sont d’autant plus sensibles les décideurs – publics comme privés – que la pandémie leur a ôté de nombreux capitaux, en plus d’assombrir les perspectives économiques sur les années à venir. Toutefois, les bénéfices de ces investissements pourraient – et devraient immanquablement, s’ils sont bien pensés – surpasser la mise. Alors, aujourd’hui, plus que jamais, c’est sur la jeunesse africaine qu’il faut parier.
latribune.fr