Difficultés matérielles, stress lié à l’éloignement, isolement, impossibilité de rentrer chez eux… Pour ces jeunes venus étudier en France, la situation est particulièrement compliquée.
Depuis mardi 17 mars, jour de l’entrée en vigueur des mesures de confinement, l’espace dans lequel vit Inès s’est brutalement réduit à dix mètres carrés – la superficie de sa chambre dans son foyer d’étudiantes sur l’île Saint-Louis, à Paris. Un lit simple, un lavabo, une étagère bourrée de provisions, des chaussettes qui sèchent sur le radiateur et un bureau derrière lequel elle passe une bonne partie de sa journée. Tel est le décor de sa nouvelle vie.
Terminé les cours et les sorties sur les quais de la Seine, scène de carte postale de la vie étudiante parisienne. Le gymnase garde ses portes closes, tout comme la salle de repos et la cantine. « On a changé la disposition des chaises de la cuisine pour s’espacer davantage et on n’y traîne pas. On essaie d’utiliser systématiquement les mêmes sanitaires chacune, pour limiter les risques », raconte cette Tunisienne arrivée en France en septembre 2019 pour suivre un master en management du développement durable à Paris.
En quelques jours, son foyer s’est vidé : elles ne sont plus que 43 sur 120 jeunes femmes. Les étudiantes françaises sont rentrées chez leurs parents. Les Mexicaines, Russes, Ukrainiennes, Marocaines, Italiennes sont restées. Une situation à l’image de celle des résidences universitaires du pays.
« Pour les étudiants étrangers, cette situation est particulièrement difficile », constate Laurence Marion, déléguée générale de la Cité internationale universitaire de Paris. L’un des défis, pour ceux qui expérimentent le confinement dans ces résidences, est d’apprendre à vivre dans des lieux où les espaces extérieurs et collectifs sont normalement indispensables pour supporter l’exiguïté des chambres. Et où ce qui reste de la vie en collectivité peut générer une forme d’angoisse quant à la propagation du virus.
En début de semaine, Laurence Marion a répondu, lors d’un Facebook Live, à des résidents très inquiets de la mise en quarantaine d’une dizaine de jeunes qui présentaient des symptômes : « Un système de dépôt de nourriture devant les portes s’est mis en place. On a appliqué des mesures pour limiter au maximum la propagation, par exemple, c’est maximum trois dans les cuisines, pas plus. »
Partir ou rester
Apprivoiser un nouveau cadre de vie, ce n’est pas le seul défi pour ces 340 000 jeunes venus des quatre coins du monde poursuivre des études en France et qui se retrouvent à vivre cette crise majeure loin de leur famille et de leurs pays. Pour eux, il a tout d’abord fallu prendre une décision compliquée. Partir ou rester ? Comment se décider dans un climat d’une telle incertitude ? Jeudi, le ministère de l’enseignement supérieur a donné des directives :
« Les étudiants internationaux dont les établissements sont fermés sont invités à rentrer chez eux, dans la mesure du possible. »
Si certains ont eu le choix, d’autres ne l’ont pas eu. Frontières fermées, billets d’avion hors de prix, contraintes académiques, crainte d’une mise en quarantaine à l’arrivée… Denisa, 19 ans, étudiante roumaine à Lyon, arrivée en France en septembre, a voulu rejoindre sa famille, mais a renoncé : « Ils ont annulé beaucoup de vols et maintenant les personnes qui viennent de France sont mises en quarantaine dans des endroits où je n’ai vraiment pas envie d’aller. Et je n’ai même plus l’assurance-maladie en Roumanie. »
A la Cité internationale universitaire de Paris, qui héberge avant tout des étudiants étrangers, un peu plus de la moitié des résidents sont restés – ils sont 4 500 à ce jour. « Ceux qui sont partis, ce sont surtout les Américains et les Canadiens, qui ont reçu des consignes très strictes très tôt. Ainsi que quelques Européens », constate Laurence Marion.
Kusat, étudiant turc en littérature comparée à l’université de Nantes, a renoncé à acheter un billet pour Istanbul : « Si je suis asymptomatique, je ne veux pas prendre le risque d’amener le virus dans mon pays. » « Ce qui est angoissant, c’est que je ne sais pas quand je vais pouvoir revoir ma famille en Sardaigne », observe, quant à elle, Eleonora, une Italienne, depuis Nantes.
Problèmes de logement, perte de revenus…
Pour ces jeunes, les difficultés matérielles liées à cette nouvelle situation sont décuplées, faute d’entourage familial à proximité. Ainsi, si la plupart des résidences du Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous) sont restées ouvertes, certains internats ont fermé, comme celui de Walter, étudiant bolivien en prépa scientifique au lycée La Martinière, à Lyon, arrivé en France il y a un an : « Heureusement, un ami m’a proposé d’aller vivre dans sa famille. J’ai de la chance et j’essaie de déranger le moins possible. Mais c’était dur de déménager toutes mes affaires. »
Véronique Debord, directrice des relations internationales de l’université de Bordeaux, est contactée par des étudiants étrangers qui anticipent de sérieuses difficultés économiques, « avec la disparition de leurs petits jobs ». « On essaie de les aider, de mobiliser nos fonds sociaux », explique-t-elle. L’inquiétude concernant les visas a pu, quant à elle, être levée : le projet de loi d’urgence prévoit de prolonger les titres de séjour des étudiants qui arriveraient à échéance.
Mais l’aspect le plus stressant, en particulier pour les jeunes arrivés en France depuis peu de temps, est de vivre cette crise dans un environnement qui ne leur est pas familier, explique Véronique Debord :
« Ils ont parfois 19 ou 20 ans, certains ne parlent pas du tout français car ils suivent ici des cours en anglais. Ils connaissent mal le système de santé : pour eux, trouver un médecin, c’est compliqué. Comprendre les recommandations sanitaires aussi. On leur traduit, on fait aussi beaucoup de soutien psychologique. »
Difficultés psychologiques
En effet, pour ces jeunes, tout le cadre dans lequel s’inscrivait leur expérience d’études loin de chez eux s’est effondré. « Souvent, ces séjours en France se déroulent dans un environnement très structurant, avec des activités culturelles, des rendez-vous, beaucoup de soirées… Et tout d’un coup, c’est le vide », observe Benjamin Beton, président du réseau Erasmus Student Network.
Anne Delaigue, psychologue, spécialisée dans le public étudiant, résume :
« Il n’y a plus de cours traditionnels, plus d’examens, plus de stages, plus de bibliothèques, plus de salle de sport, plus de restaurant universitaire. Leur famille est loin, leurs amis confinés. Cela peut générer beaucoup d’angoisse, une forte déception, une perte de repères. »
Mais ce qui inquiète le plus Florence Robin, psychiatre spécialiste du public étudiant attachée à deux grandes écoles du plateau de Saclay, ce sont les situations d’isolement :
« Pour la majorité de ceux que je suis dans ma consultation à distance, ce nouveau contexte génère de l’anxiété et un stress chronique. On est dans le traumatique, et cela va durer. Ces jeunes se retrouvent brutalement dans des résidences désertées, sans lien social. Cette situation tend à aggraver d’éventuels troubles psychologiques préexistants. C’est d’autant plus embêtant que la prise en charge par les hôpitaux est très compliquée en ce moment. »
Cette semaine, quelques établissements ont commencé à basculer certains cours en ligne – de quoi structurer un peu plus le quotidien – mais d’une formation à l’autre, la situation est très contrastée.
Maintenir le lien
Pour ces étudiants loin de leur famille, les contacts avec leurs proches, grâce aux messageries et aux réseaux sociaux, apportent du réconfort. Entre étudiants, de nouvelles formes de sociabilité émergent : jeux en ligne à plusieurs, apéros virtuels, « Netflix parties » à distance… A la « cité U » à Paris, un pianiste de jazz de la maison danoise a proposé un concert virtuel vendredi soir, un défi de danse aux fenêtres a été lancé dans une autre résidence… La psychiatre Florence Robin ajoute : « De ce que je vois dans ma consultation, tous ne vivent pas si mal cette situation. Une minorité y voit l’occasion de souffler, de se poser, de rattraper d’éventuels retards académiques. »
Inès, dans son foyer de l’île Saint-Louis, essaie de positiver : « Le fait d’être loin de ma famille, j’essaie de pas trop y penser, ça sert à rien d’être triste. En fait, ça me rappelle le printemps arabe à Tunis. J’avais 16 ans, c’était très dur, mais on s’est concentré sur une chose : s’entraider, et ça nous a permis de tenir. » Dans son foyer, elle et ses camarades ont listé des activités non risquées, comme chanter ou faire de la musique. Elles ont lancé un jeu de « blind test » musical. « On se soutient pour ne pas paniquer, on invente des manières d’être ensemble. Finalement, tout cela va renforcer les liens. »
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