Dix questions pour comprendre si vraiment l’appauvrissement de l’Afrique et l’aggravation de la crise migratoire sont la faute du franc CFA.
La semaine a été brûlante entre la France et l’Italie. Les deux vice-présidents du Conseil italien, Matteo Salvini et Luigi di Maio, ont multiplié les critiques contre la France et Emmanuel Macron, accusant notamment Paris d’« appauvrir » l’Afrique et de se servir du franc CFA pour poursuivre leur œuvre colonisatrice en Afrique.
L’affaire est née le 20 janvier quand Luigi Di Maio a déclaré à propos des migrants : « A partir d’aujourd’hui, ceux qui veulent débarquer en Italie, on va les emmener à Marseille. Je vais demander des sanctions contre les pays qui colonisent l’Afrique. La France imprime le franc dans les colonies pour financer une partie de sa dette : pour laisser les Africains en Afrique, il suffirait que les Français restent chez eux », avait-il lâché sur RTL. Le lendemain, il a surenchéri. « Tout ce que j’ai dit est vrai, a-t-il insisté. La France imprime une monnaie pour 14 Etats africains et, par conséquent, elle en empêche le développement. Au contraire, elle contribue aux départs des migrants, qui vont ensuite mourir dans la Méditerranée ou débarquer sur nos côtes. Il est temps que l’Europe ait le courage d’aborder le thème de la décolonisation de l’Afrique. »
Ces déclarations ont été jugées « inacceptables » par le Quai d’Orsay qui a convoqué lundi l’ambassadrice d’Italie à Paris, Teresa Castaldo.
Le chef du gouvernement italien Giuseppe Conte a tenté de calmer le jeu mardi en assurant que cela ne remettait « pas en question » l’amitié « historique avec la France, pas plus qu’avec le peuple français », évoquant une relation « forte et constante ». Les dix questions que pose cette polémique.
1 – Quels sont les pays du franc CFA
155 millions de personnes utilisent le franc CFA comme monnaie. Celle-ci est utilisée dans quatorze pays (dont douze anciennes colonies françaises). Huit sont en Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) et six en Afrique centrale (Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad). Ces deux groupes de pays constituent deux unions monétaires distinctes.
2 – Quelle est cette monnaie ?
Etablie en 1945, une quinzaine d’années avant l’indépendance des colonies françaises, cette monnaie est toujours en circulation. Sa valeur est aujourd’hui indexée sur l’euro (1 euro = 655,96 francs CFA) ce qui maintient les économies africaines dans la dépendance de la politique monétaire européenne.
3 -Où est imprimée cette monnaie ?
Cette monnaie est imprimée à Chamalières, fief de l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing dans le centre de la France.
4 – Est-ce que la France finance sa dette avec ?
Matteo Salvini et Luigi di Maio, ont notamment accusé Paris de se servir du franc CFA pour financer la dette française. Ce n’est pas vrai pour une raison simple : les Etats africains doivent déposer 50 % de leurs réserves en France ; en contrepartie, leur convertibilité illimitée avec l’euro leur donne une crédibilité internationale. Ces dépôts sont cependant rémunérés à un niveau supérieur aux taux du marché monétaire. Un taux plancher de 0,7 % a été fixé, ce qui est « très favorable » compte tenu des taux actuels. Par ailleurs, ces fonds peuvent être retirés à tout moment et, par conséquent, ne sauraient être utilisés pour financer de la dette française.
5 -Le franc CFA est-il un frein au développement ?
Régulièrement critiqué dans les pays africains qui l’utilisent, le franc CFA compte des ennemis jusque sur le Vieux Continent, tant parmi la gauche radicale anti-impérialiste française que, récemment, chez le gouvernement populiste italien. Les partisans du franc CFA estiment, eux, que ce contrôle extérieur sur le CFA apporte une certaine stabilité et un bouclier contre la tentation de faire tourner la « planche à billets ». Il permettrait aussi de maintenir l’inflation sous les 3 % et de stabiliser la dette à un poids raisonnable. Les opposants au franc CFA pensent que l’Afrique devrait s’en affranchir rapidement, surtout pour casser ce lien historique avec la France.
6 – Est-ce à l’ordre du jour de quitter le CFA ?
Lors de sa visite au Burkina Faso en 2017, Emmanuel Macron, interpellé sur la question, s’était posé en défenseur de la devise : « C’est une bonne chose pour un aspect, ça donne de la stabilité à ceux qui l’ont », avait-il estimé. Mais des réunions régulières ont lieu pour réfléchir à une sortie en douceur de la monnaie. De leur côté, certains groupes africains aimeraient aussi en sortir car les accusations de néocolonialisme sont également récurrentes sur le continent et plusieurs manifestations contre le franc CFA ont eu lieu en 2017 au Bénin, au Gabon, en Côte d’Ivoire et au Mali.
7 – Peut-on dire que c’est un frein au développement ?
Pour l’économiste sénégalais Demba Moussa Dembele, farouche adversaire du franc CFA, « c’est un frein au développement ». A ses yeux, « la priorité de la BCE (Banque centrale européenne) est de combattre l’inflation (et) la Banque centrale d’Afrique de l’Ouest est obligée de suivre la même politique ». A cause de cette priorité, poursuit-il, la Banque africaine « accorde moins de crédits aux entreprises locales et aux Etats africains ». Or, on sait que les entreprises ont besoin d’argent pour se développer et que l’Afrique en manque. Pour lui, « cette politique monétaire empêche toute politique d’industrialisation », maintenant la plupart des pays de la région dans le bas du classement des pays les moins développés.
8 – Quel est l’état de développement des pays CFA ?
Du point de vue de la croissance, les pays de la zone franc affichent des réussites variables. Les pays d’Afrique de l’Ouest tirés par le Sénégal et la Côte d’Ivoire tournent autour de 6 % de hausse annuelle de leur PIB tandis que ceux d’Afrique centrale sont plus proches d’une croissance nulle.
9 – Le franc CFA est-il la cause de l’immigration ?
Peut-on dire avec Luigi Di Maio que la devise serait responsable de l’immigration africaine vers l’Europe ? Selon plusieurs experts, la critique ne tient pas. « On ne peut pas dire que les pays africains de la zone franc soient surreprésentés dans les flux migratoires vers l’Europe même si on considère les choses sur le temps long », note Jacques Barou, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des migrations. Même si en 2018, les demandes d’asile d’Ivoiriens ont fortement progressé en France (+44 %), les principaux flux venant d’Afrique « partent surtout du Soudan, d’Erythrée et du Nigeria, trois pays qui n’ont jamais été dans la zone franc », souligne-t-il.
10 – Que répond la France ?
Le 23 janvier, la ministre française des Affaires européennes Nathalie Loiseau a estimé que les propos tenus depuis quatre jours par certains dirigeants italiens étaient « insignifiants » et « inamicaux », excluant toute mesure de rétorsion dans l’immédiat de la part de Paris dans les dossiers économiques. « Ces propos posent des questions : est-ce que ça rend service au peuple italien, est-ce que ça contribue au bien-être du peuple italien ? Je ne le pense pas », a-t-elle dit lors du compte rendu du conseil des ministres à l’Elysée.
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