Des plateformes panafricaines réfléchissent à transformer une partie de cette manne financière en investissements pour le développement des PME du continent.
2019, année des diasporas africaines ? Un à un les pays de départ, à l’instar de l’Ethiopie, prennent la mesure de l’importance économique des 36 millions de continentaux installés partout dans le monde. En France aussi ce groupe qui a le cœur entre deux terres devrait être l’objet d’une attention toute particulière du président Macron cette année. Ce dernier a même promis d’en rencontrer les représentants dès le printemps pour les mettre au centre de sa relation avec le continent. Un peu comme les industriels du Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), qui dressent une analyse approfondie de ces 3,6 millions de Français à cheval entre deux mondes.
Dans le troisième opus des Cahiers du CIAN, un livre intitulé Les Diasporas africaines, accélératrices des économies du continent (éd. Eyrolles), Etienne Giros, son président pose d’emblée l’angle d’attaque. Ce travail est une enquête au cœur de l’argent des diasporas qui, de l’avis des deux auteurs, Bénédicte Châtel et Anne Guillaume-Gentil, pourrait être mieux utilisé par l’Afrique. Il développe l’idée maîtresse que si les envois d’argent s’opéraient différemment, ils contribueraient plus et mieux, à développer le continent.
Montants en constante augmentation
Tout commence avec deux chiffres. « Les flux financiers envoyés en Afrique par les diasporas représentent des montants en constante augmentation : 70 milliards d’euros par an, dont près de 10 milliards en provenance de la France », expose Etienne Giros, qui, depuis l’été, préside aussi le Conseil européen des affaires pour l’Afrique et la Méditerranée (EBCAM). Ces sommes colossales représentent quasi autant que l’addition des 29 milliards de dollars de l’aide publique au développement (APD) et des 42 milliards de dollars d’investissements extérieurs faits en Afrique en 2017. Si cette manne arrivait d’une manière ou d’une autre à ne plus être seulement un adjuvant à la vie quotidienne des familles du continent, si elle n’était plus seulement là pour donner un coup de pouce sur le paiement de l’école ou des soins de santé, mais qu’elle servait les investissements industriels, cela ferait de la diaspora française un acteur majeur du développement. C’est la thèse du livre.
« La France fait partie des dix principaux pays exportateurs de fonds », exposent les auteurs de l’ouvrage. La Banque de France précise même que ces envois augmentent de 5,6 % l’an depuis l’année 2000, ce qui a permis leur multiplication par deux sur la dernière décennie. Compte tenu de la structure de la population immigrée en France, c’est en effet vers l’Afrique qu’une bonne partie de cette manne est dirigée. Avec des envois de 4,4 milliards de dollars (3,88 milliards d’euros), les trois pays du Maghreb reçoivent 41 % de l’ensemble des transferts globaux opérés depuis la France et 78 % des envois vers l’Afrique. Les pays subsahariens sont aussi destinataires, mais à moindre échelle. Le Sénégal perçoit 451 millions d’euros, Madagascar 168 millions d’euros, la Côte d’Ivoire 91 millions d’euros et le Mali 78 millions d’euros.
Pour comprendre ces flux, il suffit de se pencher sur la structure du groupe des Africains de France qui représentent 44 % du total de la population immigrée. La première génération serait composée de 2,6 millions de personnes auxquelles il faut ajouter plus de 3 millions de descendants directs. Les immigrés maghrébins arrivent en tête de ce groupe, avec 1,8 million et les Subsahariens suivent avec 800 000 représentants. Si l’on s’arrête sur les nationalités, Algériens et Marocains sont les deux les mieux représentées avec plus de 700 000 ressortissants chacun, alors que le groupe le plus large des Subsahariens est composé des 91 000 Sénégalais, 78 000 Ivoiriens, 76 000 Camerounais et 68 000 Maliens, sans oublier les émigrés issus des deux Congos (75 000 de République démocratique du Congo, 62 000 du Congo-Brazaville).
Le CIAN postule donc qu’une part de cet argent pourrait ne plus aller vers les familles mais vers les entreprises. Partant des 10 milliards envoyés chaque année depuis la France, Etienne Giros spécule : « Imaginons que 10 % de ces flux soient dirigés vers des investissements structurants ou des créations d’entreprises en Afrique, cela constituerait une source de financement régulière de 7 milliards d’euros par ans, soit près de 15 % des investissements étrangers », écrit-il dans la préface de l’ouvrage. Si, du calcul à sa mise en œuvre, le chemin peut encore sembler long, il est intéressant de noter que quelques initiatives sont déjà en train de poindre au sein des Africains de France.
Vecteur de développement et danger
Le Club Efficience, association majeure de la diaspora subsaharienne en France, qui publie chaque année Le Gotha Noir, travaille de son côté à la mise en place d’un outil financier qui lui permettra à terme de lever 50 millions d’euros annuels à partir des dons de seulement 2 % des 5 millions de personnes qui composent la diaspora de France. L’effort consiste à épargner une cinquantaine d’euros dix mois dans l’année. « En Afrique, une PME a besoin de quelque 50 000 euros de fonds de roulement ; chaque année théoriquement nous pourrions financer mille PME, créer 10 000 emplois et nourrir in fine 100 000 personnes, une petite ville », précise Elie Nkamgueu, le président du Club, cité dans l’ouvrage. Achille Agbe, président de la plateforme continentale des Clubs d’investissement EIC Corporation parie, lui, sur des investissements boursiers, des prises de participation dans le capital de PME africaines. Ce que permet déjà de réaliser diaspo4Africa.com, une plateforme panafricaine de Lumen Corporation, qui elle aussi vise le même objectif. La revue du CIAN s’arrête sur ces quelques exemples en cours de construction qu’elle détaille largement. Et qui pourtant ne résoudront peut être pas tous les maux de l’Afrique.
Si cette manne venue de l’étranger semble en effet pouvoir devenir un vecteur intéressant de développement, il peut aussi s’avérer dangereux, analyse le financierJean-Michel Sévérino. A ses yeux, en effet, « à partir du moment où les rapatriements de capitaux extérieurs de la diaspora dépassent les 7 % à 8 % du PIB, on est dans une économie de transfert dans laquelle les gens ont un intérêt à l’expatriation ». Or, au Liberia par exemple, ces rentrées équivalent à plus de 20 % de la richesse nationale, comme aux Comores ou en Gambie. Un taux qui reste à 15 % pour le Sénégal, 7,4 % au Mali. Si l’enquête de Bénédicte Châtel et Anne Guillaume-Gentil a de quoi réjouir le monde économique, en quête de relais financiers nouveaux pour le développement, elle pourrait en revanche séduire un peu moins la sphère politique européenne, toujours inquiète, elle, face à cette économie du départ.
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