L’institution publie son rapport sur l’économie planétaire. Le surendettement concerne onze Etats à bas revenus, au lieu de six en 2015.
Elle est la dernière à sonner l’alerte. « Les vulnérabilités liées à la dette dans les pays à bas revenus ont énormément augmenté depuis quelques années », met en garde la Banque mondiale, dans son rapport sur l’économie planétaire, publié mardi 8 janvier.
L’institution phare de l’aide au développement ne va pas jusqu’à évoquer l’imminence d’une crise. Mais dans un chapitre spécifique, elle s’inquiète des risques de dérapage au sein de ce groupe de pays dont la très grande majorité (vingt-sept sur trente-trois) sont situés en Afrique subsaharienne. Un refrain devenu récurrent, ces derniers mois, dans les cénacles consacrés aux Etats les plus pauvres.
Et pour cause : en 2017, l’endettement moyen des pays à bas revenus dépassait 50 % de leur produit intérieur brut (PIB), contre environ 30 % en 2013. Certaines trajectoires sont spectaculaires. Ainsi, en Gambie, le fardeau est passé de 60 % du PIB à 88 % du PIB en quatre ans et le service de la dette capture désormais 42 % des recettes de l’Etat. Au Mozambique, en défaut sur le paiement de certains intérêts, l’endettement public a bondi de 50 % à 102 % entre 2013 et 2018.
Selon la Banque mondiale, onze pays sont désormais surendettés ou en voie de l’être. Ils n’étaient que six en 2015. Les plus durement affectés sont les Etats en situation de conflit, dotés d’une faible gouvernance ou très dépendants des matières premières.
Mais l’emballement est aussi dû aux périodes de forte croissance. A la fin des années 2000, les Etats venaient de voir leur ardoise effacée, grâce aux vastes opérations d’annulations de dettes pilotées par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international (FMI).
Profitant à plein du supercycle des matières premières, ils ont fortement mobilisé les capitaux étrangers pour financer l’investissement public ou, plus fréquemment, la consommation. La chute vertigineuse des cours, entre 2014 et 2016, a renversé la donne, laminant les exportations et les devises nationales, et creusant profondément les déficits.
La Chine est devenue un créancier majeur de l’Afrique
La Banque mondiale ne pointe pas seulement la courbe ascendante de la dette mais aussi le profil des créanciers. « Les pays à bas revenus ont augmenté leur dépendance aux sources non traditionnelles de financement », souligne le rapport.
Autrement dit, la proportion d’acteurs publics et de grands bailleurs de fonds multilatéraux, délivrant des prêts à des conditions préférentielles, a régressé. Notamment au profit de prêteurs commerciaux pratiquant des taux plus élevés.
Ces dernières années, de nombreux Etats à bas revenus se sont ainsi risqués sur les marchés pour lever de l’argent. Parmi eux, l’Ethiopie, le Rwanda, le Sénégal et la Tanzanie ont procédé à des émissions d’obligations libellées en dollars ou en euros. Certaines de ces opérations arrivent à terme et vont devoir être refinancées, à un moment où les marchés sont moins sereins et les investisseurs plus frileux.
En même temps, la Chine est devenue un créancier majeur du continent. Or elle n’appartient pas au Club de Paris, ce groupe de pays riches où se négocient des opérations de restructuration. De quoi laisser supputer des problèmes de « coordination » entre les différents bailleurs, en cas de futures crises de dette, indique la Banque mondiale.
Difficulté supplémentaire, les prêts octroyés par les prêteurs non traditionnels sont parfois assortis d’exigences de « collatéralisation », soit des accords de troc, complexes et opaques, où l’argent frais s’échange contre du pétrole ou des infrastructures.
Outre les recommandations classiques visant à accroître les recettes fiscales, la Banque mondiale exhorte Etats et créanciers à œuvrer en faveur d’une plus grande « transparence ».
La croissance mondiale devrait ralentir à 2,9 % en 2019, après 3 % en 2018, selon les dernières prévisions de la Banque mondiale. Tensions commerciales, décélération des échanges mondiaux et de l’investissement, nervosité des marchés : les risques sont nombreux. Les pays avancés devraient voir leur croissance tomber à 2 %, après 2,2 % en 2018. Et les pays émergents et en développement croîtraient de 4,2 % en 2019, au lieu de 4,7 % prévus en juin. « Au début de 2018, l’économie mondiale tournait à plein régime, mais elle a perdu de la vitesse au cours de l’année et la route pourrait devenir encore plus cahoteuse », prédit la directrice de la Banque, Kristalina Georgieva.
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