Le Rwanda est un petit pays surpeuplé d’Afrique centrale. Environ 8 millions de personnes habitent un territoire 60 fois plus petit que le Québec. Depuis des siècles, deux groupes sociaux se partagent le territoire. Les Hutus, majoritaires, forment près de 85 % de la population, alors que l’ethnie Tutsi en constitue 14 %. Les Hutus et les Tutsis parlent la même langue et ont des références culturelles semblables. Bien que certaines tensions aient toujours existé, avant l’arrivée des colons européens, à la fin du 19e siècle, on rapporte une certaine mobilité sociale entre les deux groupes. L’appartenance hutue ou tutsie n’était pas, avant la colonisation, vécue comme constituante d’une identité.
Par une série de manipulations historiques, les colons allemands, puis belges, vont cristalliser les différences ethniques. Les Tutsis, venus d’Éthiopie ou d’Égypte, auraient, selon l’anthropologie de l’époque, des traits physiques plus nobles (taille haute, couleur de peau plus pâle et nez effilé). Cette imagerie calquée sur le schéma raciste européen sera repris par les élites tutsies locales.
Les Belges, qui arrivent au Rwanda à partir de 1916, considérant les Tutsis et Hutus comme deux groupes distincts, ont même produit des cartes d’identité classifiant la population selon son ethnie. La minorité tutsie, perçue comme supérieure aux Hutus, se voit accorder éducation et privilèges au sein du protectorat. Par réaction, une idéologie raciale hutue se profile. Les paysans hutus deviennent les « vrais » Rwandais, victimes de la domination étrangère.
Le ressentiment chez les Hutus explose en 1959. À la suite d’une série de révoltes, les Hutus s’emparent du pouvoir et tentent d’éliminer leurs anciens maîtres tutsis. Plusieurs Tutsis sont tués, et des centaines de milliers d’autres fuient vers les pays voisins. On estime que vers le milieu des années 60, la moitié de la population tutsie vit à l’extérieur du Rwanda.
L’assassinat du président Habyarimana est l’étincelle nécessaire pour lancer la série de massacres planifiée longuement d’avance. Le 6 avril 1994, l’avion qui transporte les présidents du Rwanda et du Burundi est abattu par deux roquettes près de l’aéroport de Kigali. Dans la nuit qui suit, plusieurs politiciens tutsis et hutus modérés devant former le prochain gouvernement de coalition sont éliminés. Dès le lendemain, l’armée rwandaise et les miliciens bloquent les rues de la capitale. Le génocide des Tutsis est lancé. La Radio-télévision libre des mille collines (RTLM), instrument des extrémistes hutus proches de l’ancien président Habyarimana, motive la population à se joindre aux milices. La population est encouragée à se débarrasser de tous les Tutsis sans distinction, qu’ils soient femmes, enfants ou vieillards.
Ainsi en treize semaines, près de 75 % de la population tutsie au Rwanda a été tuée. Au plus fort des massacres, chaque minute, cinq personnes étaient éliminées à coup de machette ou de massue. L’on rapporte que certains pouvaient négocier une mort moins douloureuse par balle, moyennant un peu d’argent. Environ 800 000 Tutsis et Hutus modérés ont perdu la vie, et quatre millions d’autres ont fui vers les pays voisins.
Après trois mois de conflit c’est-à-dire en juillet 1994, le FPR (Front Patriotique Rwandais) marche sur Kigali. Le gouvernement hutu est chassé du pouvoir. Leaders et exécutants fuient au Zaïre. Paul Kagame, qui sera plus tard élu chef de l’État, installe un gouvernement d’unité nationale. C’était la fin du génocide.
Mais l’inaction de la communauté internationale était visible aux yeux de tous. La France, qui était la meilleure alliée du gouvernement hutu, n’a pas usé de son influence pour prévenir ou arrêter le massacre. Les États-Unis, souffrant d’un « syndrome Somalie », se montrent hésitants à envoyer d’autres troupes en Afrique pour stabiliser la situation. C’est pour cette raison que l’année dernière lors de la célébration de leurs vingtième anniversaires, le président de la république rwandais Paul Kagamé a fait une sortie sur Jeune Afrique et à accuser la France d’avoir participé et organisé en 1994 ce génocide qui a causé la disparition de 800 000 à un million de personnes. Et cette sortie du président rwandais n’était pas du goût des autorités françaises, ces dernières avaient décidé de ne pas envoyer de délégation à Kigali mais autorisait leur ambassadeur dans la capitale rwandaise à prendre part aux cérémonies commémoratives. Ce qui veut dire qu’aucune délégation française n’avait quitté Paris pour aller participer à la cérémonie commémorative de l’anniversaire du génocide rwandais.
Vingt et un ans après le génocide des Tutsis, il est difficile de ne pas admirer les réussites de Paul Kagamé qui est un président à poigne et qui a mené une politique de réconciliation : au Rwanda, il n’y a plus ni Hutu, ni Tutsi, mais seulement des Rwandais. Il veut faire de son pays un « Singapour africain » et de fait, le Rwanda connait un essor économique impressionnant.
Ainsi après le génocide et ses 800 000 morts, le mot d’ordre semble être « pardonner, mais ne jamais oublier ».